HO CHI MINH-VILLE - Le Vietnam aura mis des années
à lever le tabou sur l'existence des enfants des rues, mais aujourd'hui des
dizaines d'associations tentent sur le terrain de remettre des enfants
déshérités sur les rails de la société.
Rencontrée près du grand hôtel Rex, dans l'ancienne Saïgon, Ha porte sur
son visage une lassitude qui jure avec ses dix ans.
"Ma mère m'a envoyée dans la rue à cinq ans pour payer l'école de mon
frère", explique-t-elle le regard dans le vague, des cartes postales dans
une boîte en plastique attachée à son cou. Le soir elle rapporte à la
maison tout le gain de la journée, environ deux dollars.
Ce sont des enfants comme Ha auxquels les associations ou organisations non
gouvernementales (ONG), absentes de l'ancienne Saïgon au début de la
décennie, proposent désormais des soins médicaux, de la nourriture, un
embryon d'éducation ou un toit quand ils n'en n'ont plus. Elles leur
réapprennent aussi à jouer et à retrouver leur dignité.
"Il a d'abord fallu ouvrir le débat avec le gouvernement sur l'existence
d'enfants des rues et lui monter qu'il y avait d'autres méthodes que le
ramassage et le placement dans des institutions", explique Tim Bond, ancien
de l'ONG suisse Terre des Hommes, spécialiste de la question au Vietnam.
S'il y a désormais un "réel engagement du gouvernement en faveur des
enfants des rues", selon M. Bond, tous les programmes d'aide sont gérés par
les autorités, notamment au travers de l'Union de la jeunesse ou celle des
femmes. Les organisations étrangères, qui apportent financement et
logistique, ne peuvent pas fonctionner seules.
Les experts ne voient aucun signe évident d'une croissance de la population
des "vrais" enfants des rues, ceux qui dorment dehors et ont coupé tout
lien familial. Mais ceux qui sont envoyés sur les trottoirs par leurs
parents pour subvenir aux besoins de la famille sont plus nombreux.
Dans les quartiers touristiques de Ho Chi Minh-Ville, on croise des
bataillons d'enfants vendeurs de cigarettes, de noix de coco, cireurs de
chaussures ou voleurs, parfois dès l'âge de quatre ans.
Ils se retrouvent rapidement exposés aux abus sexuels, même si c'est dans
des proportions moindres qu'à Bangkok ou Manille, et à la drogue, arrivée
en force depuis un an.
Depuis 1991, l'organisation britannique Christina Noble Children's
Foundation (CNCF) a pris en charge 80.000 enfants, pour qui "Ho Chi
Minh-Ville était une ville de lumière, beaucoup de touristes et beaucoup
d'argent à gagner", indique M. Nicolas Pistolas, son représentant dans
l'ex-Saïgon.
"Nous avons des enfants qui vendaient du chewing-gum dans la rue et qui
sont aujourd'hui employés par des sociétés étrangères", indique M.
Pistolas, admettant toutefois que ces cas restent exceptionnels.
Près de la rivière de Saïgon, Loi, 11 ans, explique entre deux quintes de
toux qu'il n'est presque jamais allé à l'école. Il vend des billets de
loterie depuis que son père, tombé malade, a dû remiser son cyclo-pousse.
Loi "n'a jamais entendu parler des associations" caritatives.
Pourtant le bouche-à-oreille commence à fonctionner dans la rue et des
enfants vont d'eux-mêmes voir les associations pour demander de l'aide.
Les enfants echoués sans famille à Ho Chi Minh-Ville sont les plus
difficiles à réinsérer. "Cela peut prendre beaucoup de temps avant
d'instaurer une relation de confiance", explique M. Pistolas. Certains
préfèrent la liberté sauvage de la rue à la sécurité d'un centre d'accueil.
Même si aujourd'hui elles peuvent agir, les associations se gardent de tout
optimisme. "Je ne pense pas qu'on aura pu éliminer le problème dans dix
ans", reconnaît M. Pistolas, "il y a trop à faire en trop peu de temps".