Viêt Nam - Rapport annuel 2003 de RSF
La presse est aux ordres même si la concurrence fait rage. L'Etat, au
service du parti unique, a renforcé sa répression contre les
dissidents, notamment journalistes, qui utilisent Internet pour
diffuser leurs informations.
Lors des cérémonies de la Journée de la presse révolutionnaire, en
juin, le journal officiel Nhan Dan (Le peuple), affirme que le Parti
communiste n'autorisera "jamais la création de médias privés" car
sans le "contrôle du parti et de l'Etat, les médias ne sont plus par le
peuple et pour le peuple." En effet, les publications en vietnamien
sont placées sous l'autorité de leurs institutions de tutelle : le Parti
communiste, l'armée, l'agence de presse officielle ou les
municipalités. Mais la concurrence fait rage entre les différents titres.
Au début de l'année, les médias jouent un rôle important dans la
dénonciation d'un scandale impliquant le mafieux Nam Cam et des
dizaines de dignitaires du régime et de policiers. Plusieurs semaines
après les premiers articles, le Parti interdit aux médias de continuer à
couvrir cette affaire. Un haut fonctionnaire, l'ancien directeur du
journal officiel Nha Bao Cong Luan, est sanctionné pour avoir publié
des articles en faveur du gangster.
Les médias audiovisuels sont également sous contrôle et le
gouvernement tente de maîtriser le développement des paraboles
illégales dans les grandes villes. En revanche, il favorise le
développement de la télévision par câble qui permet à un nombre
limité de Vietnamiens d'avoir accès à des chaînes étrangères de
divertissement.
Les autorités refusent systématiquement les licences de publication
aux dissidents et aux associations indépendantes. Le général à la
retraite Tran Do, héros de la révolution et dissident respecté, meurt
en août 2002, sans avoir jamais reçu du pouvoir l'autorisation de
lancer un journal.
Suivant le modèle chinois, les autorités d'Hanoi imposent un strict
contrôle sur Internet. En 2002, le gouvernement ordonne à la police
de contrôler les quatre mille cafés Internet permettant à près de six
cent mille Vietnamiens d'avoir accès à la Toile. L'accès aux sites
jugés "réactionnaires", particulièrement ceux des dissidents réfugiés
à l'étranger, est bloqué. Au 1er janvier 2003, cinq cyberdissidents
sont emprisonnés. L'un d'entre eux a été condamné en 2002 à
douze ans de prison.
Journalistes incarcérés
Le journaliste dissident Nguyen Dinh Huy est détenu depuis le 17
novembre 1993. En avril 1995, il avait été condamné à quinze ans de
prison pour avoir tenté "de renverser le gouvernement du peuple." Il
est accusé d'être l'un des fondateurs du Mouvement pour l'unité du
peuple et pour la construction de la démocratie qui a notamment
milité en faveur de la liberté de la presse. Agé de soixante-huit ans,
il est détenu dans le camp Z30A, dans la province du Dong Nai.
Ancien journaliste de la presse du Sud-Viêt-nam, il a été interdit
d'exercer son métier depuis la fin de la guerre. Début novembre
2002, Nguyen Dinh Huy est transféré de sa cellule à une petite
cabane (une pièce avec une fenêtre) dans l'enceinte du camp. C'est
là qu'il a été autorisé à recevoir la dernière visite de son épouse,
quelques jours plus tard, sans avoir à se rendre dans le parloir.
L'entretien d'une heure s'est déroulé hors de la présence d'un
gardien.
Reporters sans frontières considère que le placement en résidence
surveillée équivaut à une détention. Les autorités vietnamiennes
utilisent ces mesures administratives pour empêcher les journalistes
de communiquer et d'exercer leurs activités professionnelles.
Le 12 janvier 2002, Bui Minh Quoc, journaliste et dissident, est placé
en résidence surveillée à son domicile de Dalat (sud du pays). Cette
mesure fait suite à son interpellation dans la gare de Thanh Tri
(banlieue d'Hanoi), le 8 janvier. Il a alors été interrogé pendant trois
jours par des policiers qui lui ont confisqué plus de trois cents
documents jugés "réactionnaires" par les autorités. La veille, Bui Minh
Quoc avait rencontré un groupe de dissidents d'Hanoi. Mais selon un
journaliste vietnamien réfugié en France, l'interpellation et le
placement en résidence surveillée de Bui Minh Quoc sont liés à
l'enquête qu'il a menée, pendant plus d'un mois dans le nord du
pays sur la situation de ces zones frontalières avec la Chine. En effet,
les dissidents dénoncent régulièrement les concessions, notamment
territoriales, accordées aux autorités de Pékin par le gouvernement
d'Hanoi. Bui Minh Quoc s'était rendu à motocyclette dans ces
provinces pour recueillir des témoignages sur la situation. La police
lui a notamment saisi plusieurs carnets de notes et ses pellicules de
photos. Membre du groupe de dissidents de Dalat, il avait déjà été
placé en résidence surveillée d'avril 1997 à fin 1999 pour avoir milité
en faveur de la liberté de la presse. Cette sanction lui interdit de
quitter son quartier et de rencontrer quelqu'un sans autorisation
officielle. Son téléphone est coupé, son domicile gardé par des
policiers et sa famille surveillée.
Nguyen Xuan Tu, connu sous son nom de plume Ha Sy Phu, est en
résidence surveillée à son domicile de Dalat, depuis le 8 février 2001,
en vertu du décret gouvernemental 31/CP. Cette décision a été
annoncée le 12 février par le journal de la police vietnamienne, Cong
An Nhan Dan. Selon cette publication, le journaliste dissident est placé
en résidence surveillée pour être "entré en contact avec des
réactionnaires vivant à l'étranger en vue de saboter le Viêt-nam".
Cette mesure intervient alors que des mouvements de protestation,
réprimés par les autorités, ont lieu dans cette région montagneuse
du sud du pays. En décembre 1995, Ha Sy Phu avait été arrêté et
emprisonné pendant plus d'un an, accusé d'avoir révélé des "secrets
d'Etat". Libéré suite aux pressions internationales, cet ancien
biologiste est l'un des animateurs d'un groupe de dissidents de la
ville de Dalat, qui a créé la revue Langbian. Ha Sy Phu avait été libéré
le 4janvier 2001 et n'aura donc profité que de cinq semaines de
liberté au cours des sept dernières années. En résidence surveillée, il
est sujet à un harcèlement quotidien de la part de la police (fouilles
de son domicile, confiscation de son ordinateur, pressions sur sa
famille, interdiction des visites, etc.). Le 7janvier 2002, la police
fouille son domicile et confisque son ordinateur.
Pressions et entraves
Le 8 janvier 2002, Nguyen Khac Hai, vice-ministre de la Culture et de
l'Information, promulgue un décret ordonnant à la police de saisir et
de détruire toute publication non préalablement soumise au contrôle
gouvernemental. Selon la radio BBC, les Mémoires du général Tran
Do, célèbre dissident, et les impressions des pages d'information du
site Internet dissident Dialogue sont notamment visés par cette
décision.
Le 15 janvier, la police brûle 7,6 tonnes de livres et de magazines
confisqués dans le pays au cours des douze derniers mois, en raison
de leur caractère "pornographique ou subversif". Des documents
publiés par des organisations dissidentes basées à l'étranger sont
détruits dans cet autodafé.
Jusqu'au 30 janvier, les autorités vietnamiennes interdisent aux
journalistes étrangers l'accès à la région centrale des Hauts-Plateaux
près d'un an après les émeutes ethniques qui s'y sont déroulées. Le
18 février, les autorités accordent des autorisations à un premier
groupe de correspondants de médias étrangers. Mais le ministère
des Affaires étrangères interdit à l'Agence France-Presse d'y participer,
invoquant un retard d'inscription, alors que l'agence a demandé à se
rendre sur place avant même que le gouvernement n'y annonce un
voyage de presse. Le ministère refuse également de révéler à
l'avance le programme et la durée du voyage.
Début avril, le Parti communiste fait adopter une résolution
annonçant l'interdiction de tout document, livre, journal ou autre
publication contenant des informations "mauvaises ou infondées". La
résolution annonce également que le Parti et le ministère de la
Culture et de l'Information vont revoir les lois sur l'importation et
l'exportation de biens culturels et vont s'employer à empêcher la
diffusion dans le pays de programmes radio en langue vietnamienne
émis par des "réactionnaires étrangers". Parmi les programmes
visés, ceux de la radio américaine Radio Free Asia.
Mi-juin, le Premier ministre Pham Van Khai signe une directive
interdisant l'accès aux programmes étrangers par satellite aux
citoyens vietnamiens. Seuls les membres haut placés du
gouvernement et du Parti, les gouverneurs ainsi que les maires, sont
autorisés à y avoir accès. Selon l'agence Associated Press, les
entreprises et agences de presse étrangères, tout comme les hôtels
internationaux, sont également habilités à installer l'équipement
nécessaire permettant de capter les programmes étrangers. Les
personnes souhaitant importer des récepteurs satellitaires devront,
au préalable, en demander l'autorisation auprès du ministère du
Commerce. Cette décision intervient peu après la parution dans la
presse d'articles dénonçant le côté "nocif" de certains programmes
télévisés étrangers. La semaine précédente déjà, Nguyen Khoa Diem,
président de la Commission de l'idéologie et de la culture du Parti,
avait rappelé que "les médias doivent faire leur le principe d'observer
strictement le leadership du Parti". Dans les grandes villes, surtout à
Hô Chi Minh-Ville, de nombreuses paraboles ont été installées en
toute illégalité chez des particuliers.
Le 20 juin, Nguyen Khoa Diem annonce que les médias ne sont plus
autorisés à informer librement sur une affaire de corruption
impliquant un mafieux et des dizaines de dignitaires et de policiers.
Les médias nationaux ont joué un rôle important dans la révélation
de ce scandale qui a conduit à l'arrestation d'une centaine de
personnes. Dans une interview au journal Phap Luat publié par le
ministère de la Justice, Nguyen Khoa Diem affirme que les médias ne
doivent pas "exposer des secrets, créer des divisions internes ou
entraver leur rôle clé dans la propagande". Certains observateurs au
Viêt-nam affirment que ces révélations dans la presse font partie
d'un affrontement au sein du Parti.
Le 9 juillet, la police d'Hanoi détruit des cassettes vidéo et audio, 3
000 livres et six kilos de publications confisqués depuis le mois de
mars, au cours d'une campagne contre "les produits culturels
pernicieux". La police d'Hô Chi Minh-Ville a détruit pour sa part plus
de 7 000 kilos de publications interdites.
Le 7 août, le ministère de la Culture et de l'Information suspend le
site TTVNonline.com pour la diffusion d'informations violant la loi sur la
presse et "déformant la vérité", et en raison d'une absence
d'autorisation en bonne et due forme. Le chef de l'information du
ministère déclare que le site pratique un "journalisme
sensationnaliste". Selon d'autres sources officielles citées par l'Agence
France-Presse, c'est le forum de discussion du site, où étaient abordés
des thèmes tels que les concessions territoriales accordées en 1999
à la Chine, les réformes politiques et la corruption au sein du Parti
communiste, qui aurait attiré les foudres du gouvernement. Le
propriétaire de TTVNonline. com, élu au Viêt-nam meilleur site Internet
pour les jeunes en 2001, a expliqué à l'AFP que "de temps en temps,
le goût des jeunes est complètement différent de celui des vieilles
générations".
Le 8 août, la direction de la Far Eastern Economic Review, magazine
basé à Hong Kong, annonce que la distribution du dernier numéro
est entravée par le gouvernement. "La distribution d'une centaine de
copies destinées à être vendues dans des kiosques à journaux, est
suspendue", a déclaré le distributeur vietnamien, Xunhasaba. Selon
certains observateurs, un article intitulé "Censors debate Uncle Ho's
Bio" sur une biographie d'Ho Chi Minh écrite par William J. Duiker,
révélant certains détails de la vie privée du révolutionnaire contraires
à la version officielle, est à l'origine de cette décision. Déjà le numéro
du 11 juillet de la revue avait été bloqué car il comportait un article
sur le scandale autour du mafieux Nam Cam.
Le 13 août, le Cong An Nhan Dan, journal officiel de la police, appelle à
un contrôle plus strict des médias qui sont abusés par des "forces
hostiles" : les "ennemis du Viêt-nam" recueillent des nouvelles
"négatives" dans les médias contrôlés par l'Etat et les déforment
pour influencer l'opinion.
Reporters Sans Frontières - 3 Mai 2003.
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