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Hô Chi Minh-ville et ses deux Rolls Royce..

DEUX Rolls Royce roulent au Vietnam. L'une d'entre elles appartient à M. Kiem. Le Van Kiem plus exactement. 'Ce très riche homme d'affaires possède une Rolls pour sortir ses invités étrangers. Mais pour tous les jours il utilise sa Mercedes. La même que celle de la princesse Diana à Paris... Kiem et son épouse vivent à Hô Chi Minh-Ville, dans l'arrondissement de Phu Huan', quelque chose entre le 16e parisien et Beverley Hills. Le jeune journaliste vietnamien qui me raconte l'histoire a des airs émerveillés. Il est intarissable sur la carrière de Kiem. Un point excepté: le montant de sa fortune. L'ampleur du geste est sensée correspondre à celle de la richesse du couple.

Ingénieur en génie civil, Kiem a travaillé durant la guerre à l'aménagement de la piste Hô Chi Minh. A la libération, il a participé à la restauration du réseau routier du Sud-Vietnam. Histoire banale jusque-là. La véritable success-story des Kiem débute en 1979. A une époque où le gouvernement de Hanoi ne plaisantait pas avec la 'queue du capitalisme'. Kiem crée 'l'équipe de production de Huy Hoang'. Elle fabrique des colorants pour le matériel de construction. Sous couvert d'une coopérative, il s'agit en fait d'une affaire privée et qui tourne bien, précise-t-on aujourd'hui sans détour.



Un slogan: 'Changer pour faire du neuf'



Avec le 6e Congrès du Parti communiste en 1986, qui lance le programme de rénovation économique, 'Dôi Moi', littéralement 'changer pour faire du neuf', une seconde chance s'offre aux Kiem. Les réformes mettent un terme à la collectivisation des terres, autorisent l'investissement étranger et reconnaissent en 1990 le statut de l'entreprise privée. Les conséquences en sont immédiates. A grande et à petite échelle. 'Dôi Moi' a alors permis de sortir du gouffre des années noires qui avaient suivi la libération, et surtout de survivre à la suppression de l'aide soviétique en 1991. Pour les petites gens, ce renouveau a assuré une sérieuse amélioration de l'ordinaire. Pour les mieux placés, la politique d'ouverture fut une véritable aubaine.

Dès 1990 la coopérative se transforme en société Huy Hoang, à statut 100% privé. Elle regroupe aujourd'hui trois usines de confection de vêtements, exportés principalement vers l'Allemagne, une entreprise de construction, une compagnie de tourisme, des activités bancaires, et trois joint-ventures en coopération avec des partenaires sud-coréens et indonésiens.

Nous avons un aperçu de ce petit empire, qui emploie trois mille personnes, en nous rendant au siège de la Huy Hoang, à Hô Chi Minh-Ville. Le vaste salon d'accueil sert aussi de salle de réunion de la direction. L'insonorisation parfaite de la pièce se justifie: à travers la baie vitrée intérieure nous avons vue sur l'immense atelier où sévissent plusieurs centaines de machines à coudre derrière lesquelles de jeunes ouvrières passent huit heures par jour, six jours sur sept. C'est le temps de travail officiel au Vietnam.

Nous faisons la connaissance de Mme Kiem par le biais d'un immense poster-calendrier. La 'patronne' y est tout sourire, raffinée, très classe et adresse ses voeux à tous. 'Ce n'est pas une potiche, elle est responsable de toute la filiale touristique', rectifie immédiatement Ngyuen Van Hoan, un des quatre vice-directeurs de la maison. A quarante-six ans, ce communiste vietnamien a roulé sa bosse dans l'histoire contemporaine du pays. Ancien combattant, il a connu M. Kiem à l'armée. La paix l'a conduit à une chaire de professeur de droit à l'université. 'Mais c'était très mal payé.' Sa connaissance de l'allemand - il avait fait ses études en RDA - l'amène à travailler avec les clients allemands de la Huy Hoang. Son salaire actuel, à l'échelle du Vietnam, n'a rien d'une misère: l'équivalent de 1.000 dollars mensuels contre 65 dollars aux salariés de base. Mais un enseignant du secondaire gagne moins de 40 dollars.

Le couple Kiem a atteint la notoriété de ceux qui ont réussi.



La Huy Hoang se veut une affaire de famille



Il entretient de bonnes relations avec la municipalité de Hô Chi Minh-Ville. Cela passe par le mécénat, la donation de sommes importantes pour les activités sociales de la ville, la prise en charge à vie de quarante-deux 'mères héroïques' ayant perdu enfants et mari durant la guerre, la construction de maisons pour les plus démunis, et plus récemment des dons pour les victimes du typhon Linda qui a ravagé le Sud-Vietnam.

Mais, rançon de la gloire, Kiem a dû quitter le Parti communiste en 1989, un 'patron' ne pouvant pas être membre du PCV. Mais son épouse l'est encore. Le couple est cité en modèle pour 'sa réussite, sa contribution socio-économique au développement du pays' et il accumule les distinctions. Cela fait grincer des dents, et certains cadres, face à une ascension aussi fulgurante, disent préférer 'l'avoir à l'oeil'.

En réponse à ses détracteurs, la Huy Hoang se veut une 'affaire de famille', avec un 'esprit maison à la japonaise' et affiche une volonté sans faille de veiller au bien-être social de son personnel. Et dans ces temps d'investissements étrangers, la formule, affirme-t-on, n'a rien d'une banale complainte.



Un 'conseiller spécial' de Singapour



A Hanoi, la biscuiterie Haïka a retrouvé du tonus en créant trois filiales en joint-ventures: deux avec des Japonais, une avec les Sud-Coréens. Après avoir dressé le tableau des satisfactions apportées par les sociétés mixtes - meilleure productivité, niveau technique plus élevé, qualité plus grande des produits - la PDG, Mme Ngyuen Thi Le Thuy, en vient vite, de son propre chef, aux 'inconvénients' du partenariat. Si les biscuits sont plus goûteux, mais la recette est parfois acide. 'Les Japonais respectent les usages et les droits des Vietnamiens mais ils veulent toujours avoir raison. Quant aux Sud-Coréens, les rapports avec eux sont souvent tendus. Ils sont agressifs avec le personnel', résume-t-elle.

L'aveu de M. Ngyuen n'a rien d'une révélation. Les sociétés sud-coréennes implantées au Vietnam ont à plusieurs reprises eu le triste privilège d'être citées dans la presse locale dans la rubrique des conflits sociaux. L'an passé, des troubles gagnaient une fabrique de chaussures à Cu Chi: une responsable sud-coréenne y avait molesté une employée. Quelques mois plus tard, chez Reeyong, une fabrique de sacs de voyage à proximité de l'aéroport Tan Son Nhat de Hô Chi Minh-Ville, une grève éclatait contre les conditions de travail et l'abus d'heures supplémentaires payées moitié prix. 'C'est une question de mentalités, reconnaît un responsable de la municipalité d'Hô Chi Minh-Ville, qui fait l'aveu de 'deux à trois problèmes de ce type par semestre'. 'Il faut alors faire preuve de patience et de diplomatie, nous avons dû discuter longuement avec le consulat sud-coréen de Saigon.'

Le Vietnam a réussi son intégration dans la société internationale, et son admission au sein de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN), en 1995, a consacré son 'asiatisme'. Hanoi vénère l'Oncle Hô, mais regarde non sans intérêt du côté de Singapour et de la Malaisie, ces nouveaux 'grands frères' des aspirants 'dragons'. Lee Kuan Yu, ancien premier ministre singapourien, est accueilli au Vietnam en tant que 'conseiller spécial'. Mais le cyclone asiatique est passé par là cet été. Prudence oblige. 'On écoute Lee', dit-on à Hanoi, 'mais on ne le suit pas toujours...'.

DOMINIQUE BARI

l'Humanité, 27 Décembre 97.