~ Le Viêt Nam, aujourd'hui. ~
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Le Vietnam découvre ses nouveaux riches

HANOI - Hanoï n'en finit pas de prendre des couleurs. La capitale de l'un des derniers régimes marxistes-léninistes de la planète poursuit sa mue entamée il y a une décennie et change rapidement de visage. Dans le centre, près du lac Hoan Kiem («l'épée restituée»), la grisaille d'antan a cédé la place aux vitrines avenantes et aux restaurants branchés. En périphérie, les nouveaux quartiers d'habitation et les zones industrielles s'étendent. Sur les rives du fleuve Rouge, les villages muent en cités de banlieue tandis que les villas des nouveaux riches, ornées de colonnades et de balcons, poussent comme des champignons.

Certes, ce nouveau dynamisme urbain est loin de refléter toute la réalité d'un pays où le monde rural reste largement dominant. D'autant plus que les obstacles sur la voie de l'«économie socialiste de marché», prônée officiellement, restent nombreux. Mais le Vietnam est désormais bien ancré dans la mondialisation. Pour le meilleur et pour le pire d'ailleurs, comme vient de le montrer la crise de la grippe aviaire qui a provoqué la mort de 16 personnes dans le pays. L'an dernier, les autorités vietnamiennes s'étaient signalées par leur rapidité d'action pour endiguer la crise du syndrome respiratoire aigu sévère (Sras). Cette fois, c'est plutôt le manque de coopération et de transparence qu'ont eu à déplorer les organisations internationales. La maladie a été déclarée officiellement éradiquée le 30 mars. Une annonce jugée «prématurée» par l'OMS. Pour l'avenir, de fortes incertitudes demeurent en termes d'évolution épidémiologique et de coût socio-économique.

Poids lourd démographique de 80 millions d'habitants (dont 80% sont âgés de moins de 35 ans), le Vietnam est au coeur d'une région qui se concerte davantage. Une timide amorce d'intégration après un long immobilisme, legs des conflits indochinois mais aussi de la «Pax americana» imposée à l'Asie du Sud-Est depuis cinq décennies. Des séminaires gouvernementaux conjoints (Vietnam-Thaïlande, Vietnam-Laos...) figurent désormais sur les agendas. Et la liste des projets économiques transfrontaliers s'allonge, y compris avec la Chine, malgré la rivalité séculaire que le Vietnam entretient avec son ancien «suzerain» du Nord. Cette dynamique régionale sera en toile de fond de la visite qu'effectuera Jacques Chirac en octobre prochain à Hanoï où doit se tenir au même moment le cinquième sommet Europe-Asie (Asem V).

Avec le Vietnam (qui recevra cette année 106 millions d'euros d'aide bilatérale française), les projets ne manquent pas. La France est sur les rangs pour la réalisation du satellite de communication Vinasat et la construction du tramway de Hanoï. Elle compte vendre des Airbus et a déjà été sollicitée pour la réhabilitation du fameux pont Doumer (1,6 kilomètre de long) construit par Gustave Eiffel sur le fleuve Rouge à la fin du XIXe siècle. Depuis le sommet de Hanoï, en 1997, la francophonie fourmille d'initiatives, notamment à travers la coopération médicale et universitaire (un accord sur l'équivalence des diplômes est notamment en chantier).

L'horizon de l'Asem V, en revanche, est sérieusement assombri par l'épineuse question de la Birmanie. L'Union européenne a clairement posé des conditions pour l'entrée de Rangoon, cette année, dans ce forum euro-asiatique qui se réunit en sommet tous les deux ans. Des signes forts de démocratisation sont attendus, notamment, la libération du Prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi, celle des autres dirigeants de l'opposition et la relance par la junte d'un véritable processus de démocratisation. Rangoon avait présenté en août dernier une «feuille de route» en sept points dont la première étape est la mise en place d'une convention nationale. Aucune avancée n'a néanmoins été constatée depuis. La question sera donc au centre de la réunion, fin avril, du «processus de Bangkok», un forum regroupant la Birmanie, la Thaïlande et une dizaine de pays européens.

Les membres de l'Asean sont toutefois peu enclins à exercer des pressions sur leur partenaire birman. «La situation est bloquée et si rien ne bouge, elle restera bloquée», constatait Pierre-André Wiltzer, alors ministre délégué à la Coopération et à la Francophonie, en visite dans la région, début mars. Côté français, on s'inquiète de voir menacé le grand rendez-vous euro-asiatique de l'Asem dont Jacques Chirac avait été l'un des principaux initiateurs à Bangkok en 1996.

Pour le Vietnam, l'enjeu n'est pas mince non plus. Après l'organisation de l'Asem, une étape décisive doit être franchie l'an prochain avec l'adhésion à l'OMC. Orphelin de l'ex-grand frère soviétique, Hanoï s'est activement rapproché des États-Unis pour compenser la puissance chinoise. Mais dans un pays si soucieux de préserver une identité nationale si chèrement acquise, le débat sur la diversité culturelle suscite un intérêt évident. La France entend l'encourager. Paris soutient l'entrée du Vietnam à l'OMC tout en l'enjoignant notamment d'accepter la libéralisation des productions audiovisuelles.

Par Alain Barluet - Le Figaro - 15 Avril 2004.