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Requiem pour les 135 photographes de presse disparus en Indochine


LAUSANNE - L'exposition s'intitule "Requiem, Vietnam-Indochine, 1946-75" et elle porte bien son nom. Sur le mur d'entrée du Musée de la photographie de Lausanne s'inscrivent les 135 noms des photographes de onze pays tués ou disparus en trente ans de guerre française et surtout américaine aux Vietnam, Laos et Cambodge.
Lettres grises sur fond noir, la sobriété est de rigueur. L'inscription évoque volontairement le célèbre mémorial de Washington à la mémoire des plus de 55.000 Américains tués au Vietnam.
"Seuls les morts ont connu la guerre", dit plus loin une citation d'un auteur inconnu, placée en exergue.
La volonté d'hommage aux photographes de guerre morts dans l'exercice de leur métier est manifeste. Sur les milliers de clichés de la guerre du Vietnam, quelque 160 ont été retenus, tous pris par 35 des 135 photographes tués.
Ce culte du souvenir s'explique par la personnalité des auteurs de la manifestation, le Britannique Tim Page et l'Allemand Horst Faast, eux-mêmes figures de légende de cette épopée du photo-journalisme.
"Les auteurs ont eux aussi été blessés au Vietnam. La guerre a représenté une énorme partie de leur vie. Ils n'ont pas voulu en donner une image héroique, pas une image anti-guerre non plus. Ils sont trop cyniques pour croire que des images arrêtent les guerres. C'est une réflexion sur leur métier, dans les deux camps", explique le directeur du musée, le Canadien William Erwing.
Sur les 135 photographes victimes du conflit indochinois, 72 sont des communistes dont quelque 400 clichés ont pu être retrouvés à Hanoi par Page et Faast grace à la politique d'ouverture des autorités vietnamiennes après la chute du mur de Berlin en 1989.
A la différence des photographes occidentaux, leurs clichés ne sont pas ceux de professionnels. Moins spectaculaires, moins artistiques, ils ont aussi été moins montrés que les photos publiées quotidiennement aux Etats-Unis et dans les autres pays d'occident.
Mais leur valeur d'information vaut celle des stars du photo-journalisme qu'ils cotoient à Lausanne et dans le livre ("Requiem") qui accompagne l'exposition.
Robert Capa, Henri Huet, Larry Burrows, Dana Stone, Sean Flynn (fils d'Errol), Kyoichi Sawada, Gilles Caron, Michel Laurent, autant de noms célèbres.
Les clichés sont alignés sur papier brut, sans verre ni cadre sur deux rails, comme s'ils sortaient de la chambre noire. Une légende en majuscule d'imprimerie, à la façon des anciens téléscritpeurs, les accompagne.
"Cela a été la première et la dernière guerre couverte sans la censure habituelle", écrit Page. Les Malouines et la guerre du Golfe ont montré la différence. La télévision a largement remplacé la photo et la manipulation le dispute à l'information.
Les thèmes sont ceux de ces images qui secouèrent le monde dans les années 1960-70: cadavres enveloppés dans des sacs en plastique au milieu des rizières, civils apeurés, déluge de feu sur un ciel de mousson, prisonniers torturés, soldats blessés ou montant à l'assaut...
Un des clichés les plus émouvants représente la photographe américaine Dickey Chapelle recevant les derniers sacrements après avoir été touchée sur un champ de bataille en 1965. Du sang s'écoule de sa tête. La photo a été prise par le Français Henri Huet qui sera tué à son tour en 1971.
L'exposition présentée pour la première fois en Europe est visible au musée de l'Elysée, à Lausanne, jusqu'au 19 avril. Des versions différentes ont été montrées au Japon et aux Etats-Unis.

Jacques BOYER - AFP, le 12 mars 1998.