Les religions en liberté très surveillée
HO CHI MINH VILLE - En apparence, c'est la liberté religieuse
dans tout son éclat. Sous le regard ébahi
de dizaines de touristes, la grand-messe
caodaïste suit son cours dans le cadre
psychédélique et chatoyant de la
cathédrale de Tay Ninh, haut lieu de cette
étrange religion syncrétique fondée au
début du siècle dans le Viêt-nam sous
colonisation française. Les fidèles
caodaïstes, coiffés de tiares frappées de
«l'oeil du créateur» et habillés de
chasubles oranges, rouges et bleues, se prosternent au rythme des
gongs et des psalmodies. Durement réprimé dans les années qui
suivirent la chute de Saïgon le 30 avril 1975, le caodaïsme, qui
combine bouddhisme, taoïsme et confucianisme, tout en empruntant
des éléments au rite catholique, semble avoir retrouvé droit de cité
dans le Viêt-nam communiste de l'an 2000.
Dissolution. Mais il ne faut pas s'éloigner beaucoup du Saint-Siège
caodaïste pour découvrir l'envers du décor. «En surface, il y a
une amélioration de la liberté de culte. Mais, en réalité, tout est
contrôlé par l'administration communiste», confie un ancien haut
dignitaire caodaïste exclu de sa fonction par le pouvoir. La complexe
hiérarchie caodaïste a été dissoute et remplacée par un comité
contrôlé par le régime. La plupart des bâtiments et des terrains du
Saint-Siège ont été confisqués. Les leaders historiques du caodaïsme,
qui, dans les années 50, possédaient leur armée privée rivalisant avec
la guérilla communiste, sont l'objet d'une surveillance constante -
quand ils ne sont pas en camp de rééducation. «Pour me déplacer, il
faut que je demande la permission. Je ne peux même pas dormir
où je veux», confie un autre dignitaire pratiquement placé sous
séquestration.
La direction communiste a le même double langage envers les autres
religions. Dans un rapport publié en mars 1999, Abdelfattah Amor,
rapporteur spécial des Nations unies sur l'intolérance religieuse,
constatait après une enquête de deux semaines que «la religion (au
Viêt-nam) apparaît plus comme un instrument politique que
comme une composante de la société, libre de se développer
comme elle le souhaite». Le catholicisme, avec son organisation
structurée et le soutien que lui apporte le Vatican, fait l'objet d'une
surveillance toute particulière. Le pouvoir communiste contrôle les
candidatures au séminaire, favorisant les «prêtres-patriotes», et veille
au contenu des sermons. Certains prêtres ont été assignés à résidence
parfois jusqu'à trois ans pour avoir mentionné en chaire la question
des droits de l'Homme. «C'est précisément parce que le Parti est
très affaibli du point de vue idéologie qu'ils ont peur des
catholiques», explique Nguyen Ngoc Lan, un ancien prêtre. Le
Viêt-nam, dont la population est de 77 millions d'habitants, compte
environ 10 % de catholiques.
Mais si les attaques à l'encontre du catholicisme provoquent de vives
réactions internationales, celles affectant des religions marginales,
comme le caodaïsme ou le bouddhisme Hoa Hao, passent
inaperçues. Dans les derniers mois, le bouddhisme Hoa Hao, une
version ascétique du bouddhisme qui compte deux millions d'adeptes
dans l'ouest du delta du Mékong, a subi de plein fouet la mentalité de
contrôle du gouvernement. Cette secte est foncièrement
anticommuniste du fait de la «disparition» de son leader, le prophète
Huynh Phu So, aux mains des communistes en 1947.
Leaders écartés. Les Hoa Hao comptaient commémorer cet
événement le 30 mars, mais les forces de sécurité ont mis en place un
blocus des lieux de culte, étouffant toute velléité de réunion. «Le
gouvernement sait bien que s'il autorise une cérémonie de
commémoration, cela réveillera le désir de vengeance des
fidèles», affirme Le Quang Liem, un dirigeant Hoa Hao placé sous
surveillance dans son domicile d'Ho Chi Minh-Ville. Bien que la
religion Hoa Hao ait été reconnue officiellement pour la première fois
par les autorités en juin 1999, les dirigeants historiques sont, comme
pour le caodaïsme, écartés ou en détention. Un comité composé en
quasi-totalité de cadres du parti communiste dirige officiellement la
secte.
Depuis une dizaine d'années, le Viêt-nam connaît une montée
spectaculaire du sentiment religieux: pagodes, églises et temples sont
bondés. Comme si ce regain de spiritualité venait combler le vide
idéologique laissé par la perte de crédibilité du marxisme-léninisme.
«Ils ne peuvent tolérer aucune organisation religieuse qu'ils ne
contrôlent pas. Ils n'accepteront jamais de véritable liberté de
religion, mais seulement le catholicisme ou le bouddhisme
patriotiques», commente le dissident Nguyen Dan Que.
Par Arnaud Dubus - Libération - le 29 avril 2000.
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