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L'agent orange en procès

Faute de pouvoir attaquer l'Etat américain, les victimes de ce défoliant utilisé lors de la guerre du Vietnam se retournent contre ses fabricants.

L'agent orange frappe encore. Derrière ce nom de code se cache l'une des armes utilisées par les Américains pendant la guerre au Vietnam. Un défoliant dont ils ont déversé plus de 76 millions de litres sur les arbres de la jungle, entre 1961 et 1971, pour mettre à découvert les Vietcongs. Les cultures agricoles ont également été aspergées par ce produit, riche en dioxine. De 2 à 4 millions de civils et de militaires en auraient ainsi absorbé. Ils sont souvent malades. Tout comme leurs enfants et petits-enfants. «Dans les régions concernées, le nombre de cancers et de bébés malformés est nettement plus important qu'ailleurs», affirme le Dr Nguyên Thi Ngoc Toan, directrice d'une maternité à Hô Chi Minh-Ville.

Ce médecin est l'une des responsables de l'Association des victimes de l'agent orange (Avao). «Pour qu'aucun autre peuple ne connaisse les dégâts provoqués par une telle arme chimique», le Dr Nguyên Thi Ngoc Toan a décidé, avec les autres membres de son ONG et une vingtaine de victimes, de porter plainte pour crimes de guerre. Comme le gouvernement américain bénéficie d'une immunité pour tout ce qui a eu lieu hors de son territoire, ils attaquent les 37 industriels, qui, comme Monsanto et Dow Chemical, ont fabriqué et fourni le défoliant.

Dans le sang de certains vietnamiens, on a mesuré des concentrations de dioxine 100 fois plus élevées que la normale

Le procès, intenté auprès de la Cour fédérale de New York, devrait s'ouvrir en janvier prochain. Les accusés viennent de présenter leur défense. Selon eux, aucune preuve directe ne permet de mettre en cause l'agent orange dans les maladies diagnostiquées chez les victimes. «De nombreux travaux montrent que la dioxine contenue dans cet herbicide a des effets toxiques et cancérigènes sur les animaux. Mais nous connaissons mal ses conséquences sur l'homme», avoue Denis Bard, médecin épidémiologiste à l'Ecole française de santé publique, et spécialiste de la dioxine.

En 1984, les fabricants d'herbicides ont accepté de verser 180 millions de dollars de dédommagements à 10 000 soldats américains, vétérans du Vietnam. Cette action en justice avait alors permis de reconnaître un lien entre l'agent orange et certaines maladies: cancers de la prostate, des poumons, de l'estomac et du foie, diabète et affections cardio-vasculaires. Pour les plaignants vietnamiens, les effets délétères du produit sont évidents. Nguyên Van Quy a combattu dans les régions exposées au défoliant. Aujourd'hui, il souffre à la fois d'un cancer de l'estomac, d'une maladie hépatique et de la présence de liquide dans ses poumons. En plus, sa fille est sourde-muette et son fils a une malformation vertébrale qui l'empêche de se tenir debout.

Présence dans la chaîne alimentaire

Dans ce procès, les victimes vont pouvoir également s'appuyer sur de toutes nouvelles études épidémiologiques. Celle, par exemple, que le Dr Arnold Schecter, de l'université du Texas, a menée en 2003. Dans le sang de certains vietnamiens, son équipe a mesuré des concentrations de dioxine 100 fois plus élevées que la normale. Dans les zones infectées par l'agent orange, ils ont aussi découvert que le toxique pouvait être présent dans la terre, à des taux 180 millions de fois supérieurs au seuil fixé par l'Agence américaine de protection de l'environnement. Rien d'étonnant à cela: cette molécule, très stable, ne se dégrade pas facilement. Elle passe dans la chaîne alimentaire: poissons, graisses animales, etc. Et elle continue d'empoisonner les populations locales, à des doses bien plus élevées que celles observées en France, aux alentours des usines d'incinération d'ordures ménagères.

Nettoyer l'écosystème demande des moyens techniques et financiers considérables. Dans leur plainte, les victimes réclament donc aux industriels d'être dédommagés à proportion des profits que ceux-ci ont tirés de la guerre. Car, pour ces entreprises obligées par le gouvernement américain de fournir l'agent orange, le contrat a été très lucratif: l'Etat s'engageait à acheter, à prix fixe, autant de défoliants qu'elles pouvaient en produire.

Par Emilie Tran Phong - L'Express - 29 Novembre 2004