~ Le Viêt Nam, aujourd'hui. ~
Le portail de l'actualité vietnamienne

[Année 1997]
[Année 1998]
[Année 1999]
[Année 2000]
[Année 2001]

Vietnam : un pouvoir sous pression

Lors de leur victoire militaire, le 30 avril 1975, les dirigeants communistes auraient été pour le moins surpris si on leur avait annoncé que, vingt-six ans plus tard, leur pays accueillerait deux millions de touristes, dont un bon nombre de routards curieux qui en sillonnent parfois même les campagnes les plus reculées. Ou bien que les investissements étrangers au Vietnam auraient franchi la barre des 150 milliards de francs. Le Vietnam n'est plus le pays des deux millions de boat people, des camps de rééducation et de la réunification bâclée. C'est un pays qui abrite près de 80 millions d'habitants, dont plus de la moitié sont nés après 1975. Sa direction communiste, qui monopolise toujours le pouvoir et n'est pas tendre avec les dissidents, n'en a pas moins pris langue avec une diaspora riche en cerveaux. Elle cohabite également avec ses anciens ennemis au sein de l'Asean (l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est, dont le Vietnam est membre depuis 1995) et a reçu un président américain, en l'occurrence Bill Clinton, en novembre dernier.

Même si le pays est encore très pauvre, son revenu par tête a doublé au cours de la dernière décennie et devrait de nouveau le faire d'ici à 2010. Tout en exposant une part normale de règlements de comptes, la dernière réunion de la famille communiste (le IXe congrès du PC, tenu en avril à Hanoï) a surtout révélé à quel point les vétérans de la résistance, formés sur le tas, cèdent progressivement le pas à des diplômés d'universités, y compris occidentales. On pourrait ainsi multiplier les paradoxes. Riche surtout en ressources humaines, le pays bouillonne. Il s'emploie à exploiter le moindre mètre carré, toute idée, toute innovation. La plus petite affaire mérite le coup d'œil. Quand ils en ont les moyens, les jeunes s'habillent selon la mode universelle et se précipitent sur le premier ordinateur disponible. Le contrôle étroit des médias ne prévient pas pour autant l'explosion de leur audience. Sans parler des arts, la nouvelle vitalité de la littérature, même quand elle circule sous le manteau, contribue à réduire les contours de l'interdit politique.

En quête d'une deuxième légitimité - celle qui serait offerte par le succès d'un développement équilibré -, la direction communiste vietnamienne veut éviter deux précédents : l'Indonésie et l'ex-Union soviétique. Le risque indonésien est limité : l'unité et l'homogénéité du Vietnam reposent sur de solides fondations historiques et culturelles. Même s'il n'est pas à l'abri d'une crise, le pays ne peut pas se défaire. Le processus russe est plus préoccupant : un système communiste s'est effondré de l'intérieur pour verser durablement dans une anarchie maffieuse.

Comme les Chinois, les communistes vietnamiens sont donc obligés de prendre de sérieux risques. L'équation n'est pas simple : sans scier la branche sur laquelle ils sont assis, il leur faut moderniser leur pays, en élever fortement le niveau de vie et en libéraliser l'économie tout en évitant des troubles sociaux. Ce n'est pas facile quand même des paysans protestent contre la corruption des cadres locaux. Mais c'est le prix du "mandat du Ciel", qui préserve les dynasties de la colère des foules dans les sociétés qui ont hérité, entre autres, de Confucius. L'élément le plus déterminant est encore la gestion de 75 % à 80 % de ruraux et du chômage au moins partiel qu'ils subissent. Faute de quoi, la coercition ne permettra pas éternellement de prévenir le gonflement démesuré de métropoles comme Hanoï et surtout Ho Chi Minh-Ville. Fixer les populations en dehors de ces rares centres d'attraction implique la création d'un tissu de villes secondaires, au moins semi-industrialisées. Des milliards de dollars doivent être investis dans des millions d'emplois pour éviter que des ceintures de bidonvilles sortent de terre et se transforment en dépotoirs humains. L'autre difficulté majeure d'un développement harmonieux demeure l'équilibre entre les trois grandes régions - le Sud, le Centre et le Nord - du pays. Les communistes semblent se faire à l'idée que le Sud - plus riche et plus entreprenant - est destiné à demeurer le principal pôle de développement économique de l'ensemble. Mais encore faudra-t-il que les écarts, entre les régions comme entre les villes et les campagnes, ne créent pas une société à plusieurs vitesses et aux tensions permanentes.

"Marche vers le Sud"

Sous domination chinoise jusqu'au Xe siècle, le Vietnam a assimilé bien des éléments d'une culture septentrionale qui en fait encore un appendice de l'Extrême-Orient en Asie du Sud-Est. Coincé au nord par l'empire du Milieu, il s'est étendu vers le sud, conquérant et assimilant au passage le royaume côtier du Champa puis le pays des Khmers krom, le delta du Mékong. Cette "marche vers le sud" est la trame de son histoire. Elle se poursuit aujourd'hui sur le plan interne : les gens du Nord ou du Centre émigrent massivement vers le Sud alors que le mouvement inverse est inexistant. Effet annexe : puisque le golfe du Siam est atteint, la poussée démographique vietnamienne déborde aujourd'hui à l'ouest et gonfle des communautés déjà installées dans la vallée du Mékong, aussi bien au Cambodge que dans le sud du Laos.

Ces rééquilibrages internes coïncident avec ceux qui s'opèrent sur le plan extérieur. Puisque les luttes pour l'indépendance appartiennent désormais à l'Histoire, la direction du pays sort peu à peu d'une vision menaçante du reste de l'univers et d'une diplomatie défensive. Aucun retour en arrière ne semble concevable. Touristes, investisseurs, internautes et Vietnamiens d'outre-mer ne sont que l'illustration d'une interdépendance croissante. Bref, au sein de la famille communiste régnante, le débat oppose de moins en moins les conservateurs aux réformateurs, car il porte désormais non sur l'héritage mais sur la gestion du mouvement. La direction communiste peut encourager ce dernier, l'accompagner ou le suivre. Quant aux Vietnamiens, y compris dans les rangs du PC, ils sont peut-être moins d'humeur à attendre.

Par Jean Claude Pomonti - Le Monde - le 3 Mai 2001.