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Les "poussières de vie" des rues de Saïgon


HO CHI MINH-VILLE - Debout sur le porte-bagages d'un vélo, la fillette brandit ses cartes postales et s'efforce d'accrocher le regard des touristes, isolés au frais dans un autocar en partance pour une visite de Ho Chi Minh-Ville (sud).
Autour d'elle, des gamins mutilés ou déformés par la poliomyélite en profitent pour tenter de récolter un peu d'argent. A tous les points névralgiques de l'ex-Saïgon, autour des grands hôtels,près de la cathédrale ou de la poste centrale, les mêmes scènes de siège sereproduisent. Des dizaines de buôi doi, les "poussières de vie", comme les appellent les Vietnamiens, s'abattent sur les voyageurs, leur proposant tous lait de coco, avions d'aluminium fabriqués avec des boîtes de Coca-Cola ou de bière, hamacs bariolés, collections de cartes postales noir et blanc d'avant l'indépendance, de timbres ou de vieux billets de banque. Et profitent éventuellement de la cohue pour leur faire adroitement les poches.
Des fillettes qui n'ont rien à vendre portent sur la hanche des bébés étrangement tranquilles, yeux clos et bras ballants. Moins entreprenantes que les petits vendeurs, elles se contentent de tendre la main, faisant comprendre par gestes qu'elles ont faim. Les nourrissons sont "complètement atones, visiblement assommés par les somnifères", affirme un médecin, spécialiste de la toxicomanie.
Cireur de chaussures de son état, particulièrement tenace, Huong, un gamin d'une dizaine d'années arpente quotidiennement la même portion de trottoir, sur le boulevard Le Loi reliant les hôtels Rex et Continental. Au passant qui fait appel à ses services, il ne tarde pas à en proposer d'autres, plus vénaux, et guère plus chers.
Selon l'Unicef, environ 20.000 jeunes de moins de 18 ans seraient victimes de réseaux de prostitution au Vietnam et les enfants représenteraient actuellement 15% de la population prostituée du pays. De même source, on estime à trois millions le nombre de mineurs ayant besoin d'une protection particulière, notamment 147.000 orphelins, 233.000 handicapés, 28.000 enfants-travailleurs et 4.300 toxicomanes.
Comme tous les autres gamins qui hantent le centre-ville, Huong est à poste dès le lever du soleil et bien au-delà de minuit. Ses quelques heures de repos, il les prend sur une pelouse ou sous un abri d'autobus. "Jamais seul", explique-t-il avec ses quelques mots d'anglais, "autrement tu te fais dépouiller".
Parfois venus des provinces du nord, distantes de près de 2.000 km, issus en majorité de familles nombreuses incapables de les nourrir, les "poussières de vie" vivent et dorment sur les trottoirs, se lavent et font leurs besoins dans la rivière, à deux pas des restaurants flottants.
Selon le comité municipal Ho Chi Minh-Ville pour la protection des enfants, plus de 25 .000 gamins errent ainsi dans les rues de la ville et leur nombre croît au même rythme que celui de la population. Plus de 400 ont été recensés sur la décharge de Hoc Mon, dans la proche banlieue, triant les ordures ou espérant y trouver l'objet rare à revendre.
Les autorités tentent d'attirer ces enfants vers l'école et, grâce à de modestes prêts, de convaincre leurs parents de ne plus les chasser ni de les envoyer travailler. Mais dans les campagnes, rien ne remplace encore le petit pécule que rapporte l'enfant, quand il a envie de revenir.

Philippe COSTE - AFP, le 25 mars 1998.