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Pol Pot: l'incarnation d'une aventure désastreuse pour le Vietnam


HANOI,- Le chef historique des Khmers rouges Pol Pot, mort mercredi d'une crise cardiaque selon des responsables de son mouvement, a été pour le Vietnam l'incarnation d'une aventure désastreuse dont ce pays se remet à peine.
Le ministère vietnamien des Affaires étrangères n'a pas immédiatement réagi jeudi à mort de Pol Pot, dans l'attente d'une confirmation officielle de son décès.
En plus, les dirigeants de Hanoï sont occupés jeudi par les obsèques de l'ex-ministre vietnamien des Affaires Etrangères Nguyen Co Thach, qui avait notamment géré, sous la conduite du parti communiste, le retrait échelonné des troupes vietnamiennes du Cambodge, achevé en 1989, et qui passait aussi pour avoir été le mentor de l'actuel "homme fort" du Cambodge, Hun Sen.
Pol Pot et les Khmers rouges avaient été chassés de Phnom Penh en janvier 1979 et poussés dans la jungle par l'armée vietnamienne. Hanoï avait mis en place à Phnom Penh un régime pro-vietnamien et ses troupes s'étaient enlisées dix ans au Cambodge.
Le Vietnam avait rejeté en octobre dernier les "allégations" de Pol Pot, publiées par le magazine Far Eastern Economic Review (FEER), dans lesquelles l'ancien chef des Khmères Rouges avait estimé qu'il avait sauvé le Cambodge de la domination vietnamienne.
"Tout le monde sait que le crime de génocide commis par Pol Pot et les Khmers rouges vis-à-vis du peuple cambodgien durant la période 1975-1979 est extrêmement féroce et est condamné avec indignation par le peuple cambodgien et le monde entier", avait indiqué le porte-parole du ministère vietnamien des Affaires étrangères, en réaction à l'interview de Pol Pot au FEER.
C'est en 1975, dès la victoire des communistes vietnamiens sur le régime pro-américain de Saïgon et l'arrivée des Khmers rouges marxistes au pouvoir à Phnom Penh, que des affrontements ont commencé à la frontière vietnamo-cambodgienne.
Ils deviennent de plus en plus meurtriers et, le jour de Noël 1978, l'armée vietnamienne lance une offensive contre les Khmers rouges. Les "volontaires" vietnamiens prennent la mesure du délire des polpotistes en entrant dans Phnom Penh où ne restaient plus que quelques habitants totalement hagards.
En douze jours, la capitale du Cambodge tombe, les khmers rouges sont en fuite. L'opération est militairement réussie.
"Il a fallu qu'on arrive là-bas pour réaliser la cruauté" des khmers rouges, avait déclaré en 1996 Bui Tin, ancien colonel de l'Armée vietnamienne, interrogé par téléphone à Paris où il vit en exil.
Le comportement de Pol Pot "a été une grande surprise pour nous", expliquait-il. "Avant 1975, les Khmers rouges avaient des relations étroites avec nos dirigeants, avec Ho Chi Minh. En 1975, ils ont voulu créer un Grand Cambodge, ils ont voulu notre pays", ajoutait Bui Tin.
L'offensive s'est transformée en une guérilla interminable et a fait, côté vietnamien, quelque 52.000 morts, autant que de morts américains pendant la guerre du Vietnam.
L'armée de Hanoi --180.000 bo doï au plus fort de la présence vietnamienne-- s'enlise au Cambodge. Hanoï met en place un gouvernement pro-vietnamien avec d'anciens Khmers rouges reconvertis, comme le jeune Hun Sen. L'occupation du voisin allait durer jusqu'au retrait de septembre 1989 sous supervision internationale.
A cause de cette occupation, le Vietnam a été mis au ban de la communauté internationale, qu'il n'a commencé à réintégrer qu'au début des années 90.
Au niveau économique, cet isolement a eu des conséquences graves, de même que sur le plan militaire: elle a démoralisé une armée qui sortait à peine de luttes éprouvantes pour l'indépendance nationale.
En février 1979, Deng Xiaoping décide de donner une leçon au Vietnam pour avoir chassé ses protégés de Phnom Penh. Une guerre-éclair, mais meurtrière. Il faudra une douzaine d'années pour que les relations avec le grand voisin se normalisent enfin.
Sur le plan intérieur, l'occupation a aussi sérieusement ébranlé les plus hautes instances du régime vietnamien, certains hauts responsables ayant exprimé leur opposition à la poursuite de la présence militaire vietnamienne, comme l'ancien ministre de la Défense Vo Nguyên Giap ou le chef de la diplomatie Nguyên Co Thach.
Pol Pot décédé, Hanoi va probablement suivre avec une grande attention l'évolution de la situation au Cambodge, voisin avec lequel le Vietnam souhaite entretenir les relations les plus sereines possible.

Pascale TROUILLAUD, AFP, le 16 Avril 1998.