Le Vietnam vient bouleverser la géographie du poivre
Après le riz et le robusta, le Vietnam s'attaque au
poivre. Il deviendra le premier exportateur mondial,
surpassant l'Inde.
Les amateurs de poivre devront s'y faire. Cette année, l'offre s'annonce en
forte baisse et les prix, estime le négociant néerlandais Man Producten, l'un
des géants du négoce mondial des épices, devraient rester encore élevés.
Sur le marché, les prix des deux grandes qualités, le blanc et le noir,
demeurent proches de leurs plus-hauts de la décennie. Les cours du poivre
noir, le plus utilisé en Europe, dépassent largement les 5.000 dollars la
tonne. La mauvaise récolte indienne est à l'origine de cette flambée
persistante des cours. Alors que les négociants attendaient une récolte de
près de 100.000 tonnes, la collecte n'a pas dépassé les 75.000 tonnes, tandis
que les exportations indiennes qui alimentent surtout le marché
nord-américain ont été inférieures à 48.500 tonnes.
Pour l'année poivrière qui s'annonce, l'Inde ne sera toujours pas au
rendez-vous. Les dernières estimations évaluent la production à seulement
50.000 tonnes. Or, la consommation interne incompressible est de l'ordre de
30.000 tonnes, quel que soit le prix affiché par cette épice de base de la
cuisine indienne. Il ne resterait que 20.000 tonnes exportables pour cette
année.
Le forfait de l'Inde comme principal fournisseur marché mondial donne des
ailes aux origines de substitution, et à la plus dynamique d'entre elles, le
Vietnam. Hanoï réalise dans le poivre le pays s'est lancé dans la production
à vaste échelle depuis trois ans le même parcours qu'il a accompli dans le riz
et le café robusta. En moins d'une décennie, pour ces deux produits, le
Vietnam s'est hissé au deuxième rang mondial pour les exportations. Avec
le poivre, les vignerons vietnamiens récidivent.
Inconnue brésilienne. L'an passé, les vignes plantées en 1997 sont arrivées
en production. Le résultat s'est traduit par un bond de 40 %, à environ
30.000 tonnes de production poivrière. Comme il restait aux Vietnamiens
des stocks de la récolte précédente, leurs exportations ont bondi à 35.000
tonnes, dont près de 80 % se sont dirigés vers le marché européen. Cette
saison, les traders et les analystes de Man Producten tablent sur une
nouvelle progression de l'offre vietnamienne. La récolte, selon l'état des
plantations, ne devrait pas être inférieure à 35.000 tonnes (+ 20 %). Pour
l'heure, les traders vietnamiens jouent assez finement en limitant l'offre afin
de maintenir le niveau des prix. Selon un trader, ils attendent que les
festivités liées au nouvel an chinois soient passées pour lâcher
progressivement leur production sur le marché mondial.
Aux côtés du Vietnam, l'autre inconnue est brésilienne. Les spécialistes
des épices tablent sur une progression de 50 % de l'offre en provenance du
Brésil. Les nouvelles plantations côtières arrivent enfin en production. Du
coup, le Brésil, avec environ 19.000 tonnes exportables, se hisse au
troisième rang mondial, devant l'Indonésie et la Malaisie, qui sont reléguées
dans le bas du classement. Ce bouleversement de la géographie poivrière
mondiale et des circuits du négoce explique largement la fermeté actuelle
des cours. Les nouveaux intervenants aux origines manquent d'assises
financières solides. Du coup, le négoce préfère jouer la prudence avec des
achats spot, donc plus chers que lorsqu'il s'agit de contrats de livraison à
long terme.
De Guy André Kieffer - La Tribune - Le 11 Février 2000.
|