Avec l'agent orange, des enfants meurent encore de la Guerre du Vietnam
HO CHI MINH-VILLE - Hôpital Tu Du, dans l'ancienne
Saïgon, service des victimes de l'agent orange : Minh Hien est une enfant
monstrueuse de deux ans, avec une tête plus grosse que son corps et qu'elle
ne peut pas soulever du lit.
A côté d'elle gît un enfant qui, à un an, ne pèse que 1,4 kg, a un visage
frippé de petit singe qui souffre, des sondes dans le nez, aucun espoir de
croissance.
"Qu'est-ce qu'on peut faire?", s'interroge le Dr Le Diem Huong, chef du
département de néonatologie, "on doit les nourrir jusqu'à leur mort".
La Guerre du Vietnam est finie depuis 23 ans; , mais elle tue encore, par
mutations génétiques, les enfants de combattants ou de civils contaminés
par la dioxine contenue dans les 44 millions de litres d'agent orange
déversés par l'US Air force sur le Sud-Vietnam pour déforester les zones
abritant les sanctuaires communistes.
Même si pour les Etats-Unis aucune preuve scientifique irréfutable ne
permet d'établir un lien direct entre l'agent orange et ces mutations
génétiques, faute de recherche approfondie, Hanoï affirme que 50.000
enfants atteints de malformations sont nés de parents contaminés par
l'agent orange.
L'hôpital Tu Du a vu naître l'an dernier près de 340 enfants avec des
malformations congénitales, soit un taux considérable de plus d'une
naissance sur cent.
Le service des victimes présumées de l'agent orange offre un condensé de
l'insoutenable : nourrissons et enfants-troncs ou sans bras, avec des mains
en pince à deux doigts ou des pieds bots. Quasiment tous abandonnés par
leurs parents.
"Nous ne pouvons pas faire ici des examens qui coûtent 2.000 dollars par
patient pour déterminer avec certitude qu'il s'agit d'un niveau de dioxine
élevé dans le corps", explique le Dr Phan Trung Hoa, cancérologue.
Les médecins interrogent les parents pour savoir s'ils ont vécu pendant la
guerre dans les zones touchées par les défoliants, comme le long du 17e
parallèle qui séparait les deux Vietnams, ou certaines régions du sud. Dans
la province méridionale de Ben Tre, les malformations congénitales sont
quatre à cinq fois plus élevées qu'à Ho Chi Minh-Ville.
"La dioxine est à l'origine de beaucoup de formes de cancers, du foie, de
l'appareil digestif, génital ou du placenta", ajoute le Dr Hoa. "Elle
provoque aussi des troubles nerveux irréversibles, des paralysies, des
polymalformations, des retards mentaux".
Tu Du souhaite une coopération médicale avec les Etats-Unis, dont 200.000
anciens combattants auraient été contaminés au Vietnam, et avec le Japon.
Faute de moyens financiers pour la recherche, l'hôpital, le plus grand
centre au Vietnam pour les victimes de l'agent orange, se concentre sur les
soins : orthopédie, physiothérapie, kinésithérapie, ainsi que la nourriture
des enfants et des rudiments d'éducation pour les cas les moins désespérés.
Aujourd'hui, alors que le café, l'hévéa, le riz poussent dans les régions
défoliées, le Vietnam se demande déjà si l'agent orange ne pourrait pas
faire des victimes de la troisième génération. Des équipes mènent des
recherches sur l'appareil reproducteur des tortues, animal à la grande
longévité.
Selon Hanoï, l'agent orange a fait entre 100.000 et un million de victimes
au Vietnam, dont beaucoup déjà décédées. Ce n'est que récemment dans le
pays, et notamment dans la presse, qu'on a commencé à parler de ces
malades, souvent isolés dans les campagnes et fatalement peu mobiles.
La Croix-Rouge du Vietnam a créé en juillet le premier fonds des victimes
de l'agent orange et met en place dans le pays des "villages de la paix"
avec l'aide internationale.
Tardivement, Hanoï, qui n'a jamais officiellement demandé de réparation aux
Etats-Unis, a commencé à sonder Washington l'an dernier sur "une
coopération pour surmonter les effets de la guerre".