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Nostalgie de Saigon

Hô Chi Minh-Ville est demeurée Saigon. On vient en pèlerinage nostalgique dans ce qui fut le « Paris de l'Extrême-Orient ».

La rue Catinat s'appelle Dhong Khoi. La statue d'Hô Chi Minh fait face à l'hôtel de ville néo-Renaissance-IIIe République. La poste de 1886 avec sa verrière due à Eiffel et sa façade ouvragée, joliment repeinte, rend hommage aux savants de la communication moderne, de Laplace à Chiappe.Les anciens cafés Brodard et Givral ressemblent à des snacks modernes. Le Continental est défraîchi, la réceptionniste ne parle qu'anglais et les chambres 102 et 112 fileraient le bourdon aux héros de Bodard, Lartéguy, Jean Hougron ou Graham Greene. Reste que le lieu garde sa part de nostalgie. On peut dériver l'après-midi entier de la cathédrale Notre-Dame, qui jouxte le nouveau centre commercial Diamond, jusqu'aux frondaisons modern style de l'hôtel Majestic. Ce dernier, sous administration d'Etat, souhaite, sur une large banderole, « la bienvenue au groupe X ». On passe son chemin. On a oublié les lumières glauques des couloirs, la façade repeinte de l'ex-Saigon Palace devenu Grand Hôtel ou encore la terrasse kitsch du Rex, ce palace années 60, conservé dans son jus, qui fut le QG des GI durant la guerre du Vietnam.

Malgré les oukazes administratifs, Hô Chi Minh-Ville est demeurée Saigon. On vient en pèlerinage nostalgique dans ce qui fut le « Paris de l'Extrême-Orient » ou le « Marseille du Vietnam », et l'on repart des images neuves plein la tête. Les tours modernes de l'an 2000 s'élèvent dans le ciel face à la statue de Tran Hung Dao, le valeureux général qui repoussa l'envahisseur mongol au XIIIe siècle. Les nouveaux palaces aux airs futuristes, tels le Legend, le Caravelle ou le Sofitel Plaza, qui donne à la ville une allure folle depuis la suite Champagne du 20e étage, pointent leur nez vers le ciel. Saigon est un nouveau Bangkok, un pied de nez à Hongkong, la réplique viet de Kuala Lumpur.

L'ancien y télescope le moderne. Le vieux quartier chinois de Cholon, presque inchangé malgré les transferts de populations du sud au nord, de l'est à l'ouest, garde son cachet, celui du bouillonnant marché Binh Tay, où l'on vend de tout, des alcools de serpent ou de l'or blanc, des épices et du rêve, mais aussi celui de ses pagodes fascinantes, telle la brumeuse Thien Hau, balayée d'encens, dédiée à la déesse des navigateurs.

Le vaste delta du Mékong fait une excursion obligée, depuis My Tho (« la bonne herbe parfumée »), où les bateaux croisent mangroves, arroyos, rizières et vergers, où l'on rencontre la vie du fleuve, où l'on peut accoster à l'île de Phung, riche de cocotiers, ou celle de Tan Long, où l'on produit les longanes. Sadec n'est pas loin et la maison bleue de « L'amant », intacte, comme dans les souvenirs d'enfance de Marguerite Donnadieu dite Duras ou dans le film de Jean-Jacques Annaud.

Le monde a changé. Mais Saigon a su garder sa magie. Les congaïs demeurent séduisantes, avec leurs silhouettes fines et leurs démarches chaloupées. Elles ont la réputation d'aller danser chaque soir dans des discothèques dégoulinant de néons rouges et empruntent des motos Honda pour rejoindre leurs amis au Paloma Café, l'un des rendez-vous jeunes de Dhong Khoi. On les croise aussi dans les restaurants en vogue qui se nomment Indochine ou Temple Club, Mandarin ou Quan An Ngon, Hoi An ou Vietnam House. Ce sont là des décors de cinéma, mais c'est le film que se joue Saigon la neuve au quotidien. Charmeur plus que vénéneux, désormais, le « Paris de l'Extrême-Orient » est entré sans complexe dans le troisième millénaire.

Par Gilles Pudlowski - Le Point - 16 Janvier 2004