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Les Etats-Unis accueillent des "montagnards" du Vietnam

Dépossédés de leurs terres, plusieurs centaines de paysans des hauts plateaux s'étaient réfugiés depuis des mois au Cambodge

PHNOM PENH - Réfugiés depuis des mois au Cambodge, plus de 900 "montagnards" vietnamiens vont être réinstallés aux Etats-Unis à partir de début juin. Cette solution, entérinée sans enthousiasme par Hanoï, pourrait mettre un terme à un drame qui s'est noué en février 2001 quand des milliers de membres des minorités ethniques des hauts plateaux du Vietnam ont protesté contre l'occupation de leurs terres par des planteurs de café venus des plaines proches du centre ou du delta, plus éloigné, du Fleuve rouge. Regroupés dans deux camps de l'Est cambodgien, ils ont été transférés à Phnom Penh en avril pour enregistrement avant leur évacuation vers les Etats-Unis.

Voilà quinze mois, Hanoï a été pris de court par les manifestations de milliers de "montagnards" dépossédés dans ce qui est devenu, en une demi-douzaine d'années, la "ceinture du café" vietnamienne. Bénéficiant de la complaisance des autorités communistes locales, des dizaines de milliers de Kinhs, l'ethnie vietnamienne, se sont emparés de terres, marginalisant les ethnies minoritaires qui peuplent les hauts plateaux. L'armée, ce qui est exceptionnel, a été appelée à la rescousse pour rétablir l'ordre et la Commission des ethnies minoritaires, organe officiel, a été publiquement "réprimandée" et a dû reconnaître que les minorités "manquent de terres ou n'en ont pas du tout".

Parallèlement, deux douzaines de "fauteurs de troubles" ont été officiellement arrêtés et, au cours de procès en septembre et octobre 2001, vingt-deux "montagnards" ont été condamnés à des peines de deux à douze ans de prison. Dans un rapport publié en avril, l'organisation humanitaire Human Rights Watch a dénoncé une très sévère répression. De son côté, Hanoï a accusé les églises évangélistes, présentes parmi les minorités, d'encourager la formation d'un "Etat autonome" sur les hauts plateaux, avec l'appui de leurs coreligionnaires de Caroline du Sud. Tout en allouant des terres aux "montagnards", le gouvernement n'a pas pu empêcher un exode vers le Cambodge voisin, qui s'est poursuivi jusqu'à la fin de 2001.

Récriminations mutuelles

De longues négociations entre Hanoï, Phnom Penh et le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) ont abouti, le 21 janvier, à un accord apparemment bancal sur le rapatriement des "montagnards" dont la piètre application a été dénoncée par le HCR le 22 mars. Entre-temps, l'atmosphère a été empoisonnée par des récriminations de toutes les parties en présence. Des informations, aussitôt démenties par la police cambodgienne, ont fait état du refoulement, sur la frontière, de nouveaux groupes de "montagnards". En outre, les Américains ont dénoncé l'incursion dans l'un des deux camps de réfugiés, celui situé dans la province de Mondulkiri, de 400 "individus" venus du Vietnam à bord de douze autocars avec l'intention d'intimider les réfugiés. Tout en reconnaissant l'existence de cette visite, le Cambodge a nié "toute violence ou intimidation". Enfin, sur 174 "montagnards" rapatriés, 15 seulement l'ont été "volontairement" selon les procédures du HCR.

Les Américains ont alors renouvelé l'offre, avancée dès avril 2001 et réitérée en février 2002, d'accueillir les "montagnards". Après un temps d'hésitation, le premier ministre cambodgien, Hun Sen, a donné son aval, en précisant, le 1er avril, que les futurs demandeurs d'asile en provenance du Vietnam seraient refoulés et les camps de réfugiés fermés. Hanoï s'est incliné dès le lendemain devant le choix du Cambodge en mentionnant le caractère "exceptionnel" de la situation. Le souci de Phnom Penh est de ménager son voisin vietnamien et son partenaire américain, tout en évitant que la réinstallation de "montagnards" aux Etats-Unis n'encourage un nouvel afflux de demandeurs d'asile.

Dans l'intervalle, sur les hauts plateaux vietnamiens du centre, l'effondrement du cours mondial du café, provoqué en partie par la surproduction du Vietnam, devenu en 1999 le deuxième exportateur mondial de cette denrée, a conduit à l'arrachage de 20 % à 30 % des surfaces plantées, soit au moins la moitié des superficies que les autorités ont promis de rendre aux "montagnards" en 2001. La population de cette région compte déjà 91 % de Kinhs et Hanoï vient d'annoncer que 10 000 nouveaux migrants y seraient transférés d'ici à 2005 afin de décongestionner la province de Thai Binh, dans le delta du Fleuve rouge.

Par Jean Claude Pomonti - Le Monde , le 3 Juin 2002.