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La métamorphose de Dien Bien Phu, devenue une ville dynamique qui cultive la mémoire

Sur le site du camp français tombé le 7 mai 1954 aux mains du Vietminh s'est construite une cité, chef-lieu d'une province d'un demi-million d'habitants.

DIEN BIEN PHU - Centre de conférence, bureau du Parti communiste, sièges des comités populaires de la province et de la ville : de grosses bâtisses récentes s'alignent sur une large avenue empruntée par des camions qui font la navette entre les frontières laotienne et chinoise. Des feux, avec compte à rebours des secondes, ont été installés aux principaux carrefours.

Le soir, à l'hôtel Muong Thanh, formé par un ensemble hétéroclite de bâtiments collés les uns aux autres, le personnel s'affaire. Un banquet de mariage de 500 couverts a lieu le lendemain dans une salle de restaurant donnant sur une piscine. Une immense reproduction de la baie d'Along s'étale sur le mur et la piscine est entourée de statues grandeur nature : nymphes, singes, autruches et pingouins. Seules les girafes sont des modèles réduits.

Au même moment, dans un cybercafé, une dizaine de jeunes trompent leur ennui en surfant sur le Net. Dans un autre quartier de la ville, un ancien secrétaire de province du parti a transformé, à l'heure de la retraite, sa belle demeure en bois en un restaurant apprécié de gibier. Il a aménagé son nouveau domicile dans l'arrière-cour. De son côté, le marché central offre le spectacle, habituel au Vietnam, d'un dédale de petites boutiques aux étalages fournis.

Dien Bien Phu, l'ancien camp retranché français tombé le 7 mai 1954, n'est donc plus une bataille mais une ville. Cette dernière a été promue le 1er janvier chef-lieu d'une province du même nom et dont la population est d'un demi-million d'habitants. "La ville regroupe environ 60 000 habitants ; son taux de croissance économique est en moyenne de 15 % par an depuis plus de dix ans", annonce fièrement Nguyen Quang Sang, un grand Vietnamien tiré à quatre épingles et qui préside le Comité populaire du chef-lieu.

"Il n'y avait que des mines et des barbelés quand je suis revenu en 1958 pour déminer", raconte le colonel Nguyen Van Khau, aujourd'hui le patriarche, à l'âge de 81 ans, d'une famille de sept enfants et de huit petits-enfants. En 1961, il a installé les siens à Dien Bien Phu parce qu'il était alors stationné au Laos voisin. Dans ce qui est devenu depuis un quartier résidentiel, il a construit une première maison en 1967 puis une deuxième, pour son fils aîné, en 1999.

"Depuis 1990, quand j'ai pris ma retraite, tout a changé. Les gens s'enrichissent, les écoles sont partout", dit ce vétéran grièvement blessé - "la hanche, le poumon, l'épaule, la jambe" -, le 27 avril 1954, lors de l'une des attaques d'Eliane 2, position française juchée sur une colline et qui tombera, faute de munitions, le 7 mai.

Au lendemain de la victoire, Dien Bien Phu vivait du riz qui couvre la plaine adjacente. "100 % de rizières, plus de 50 % de pauvres, des disettes, un revenu annuel par tête de moins de 100 euros", résume M. Sang. Aujourd'hui, ce revenu est de 500 euros. L'agriculture et la pêche ne représentent plus que 7 % du produit intérieur brut. Promue centre d'enseignement professionnel pour trois provinces, la ville accueille 10 000 étudiants. Les vols la reliant à Hanoï sont quotidiens. En 2003, elle a reçu plus de 100 000 visiteurs, dont 10 000 étrangers.

Tunnel reconstitué

Car la mémoire y est entretenue. A la veille de la célébration du cinquantenaire, les Vietnamiens mettent les bouchées doubles. Le site d'Eliane 2 est un chantier où l'on reconstitue le tunnel creusé par les combattants du Vietminh (Front de l'indépendance du Vietnam) afin de planter une tonne de TNT sous la colline, dont l'explosion a été le signal de l'ultime assaut. Des étudiantes, venues de Hanoï par autobus - un périple de douze heures -, se font photographier au fond du cratère provoqué par l'explosion et dans lequel avait été ensevelie la 2e compagnie du 1er bataillon parachutiste de choc (BPC) français.

Cette colline surplombe la plaine, la ville, la piste aérienne, refaite et allongée, et un stade en plein air qui accueille aussi de grandes parades. Un peu partout, la végétation a repris ses droits. En bordure de ville, à 500 mètres à vol d'oiseau, on aperçoit un toit à fleur de terre et arrondi de tôles renforcées de sacs de sable : le PC souterrain du général de Castries qui abritait quatre petites salles d'une vingtaine de mètres de longueur en tout et où ne traînent plus que deux tables. Il va être restauré.

A deux pas du PC, sur la rivière Nam Rom - ou Nam Youm, selon les Français -, des peintres redonnent sa couleur rouille au petit pont en fer qui fut l'objet d'une âpre bataille en raison de la présence d'une mitrailleuse française -"à quatre trous" disent les Vietnamiens -, qui gît encore sur socle, en déséquilibre et défoncée par les grenades d'assaut.

Au pied d'Eliane 2, trois anciens combattants, des colonels, se recueillent dans le cimetière militaire vietnamien, dont la grande majorité des tombes sont anonymes. Ce sont des artilleurs déjà revenus à l'occasion du 40e anniversaire de la bataille. "Nous visitons aussi tous les endroits où nous avons participé aux combats", dit l'un d'eux. Une tombe en relief est celle de Phan Dinh Giot, mort en se jetant sur une meurtrière pour faire écran de son corps.

L'inévitable et large avenue du 7-Mai sépare ce cimetière du modeste musée de la bataille. Parmi les Jeep et les blindés français, les photos d'archives et les canons vietnamiens, des groupes de jeunes se familiarisent avec l'Histoire telle que la leur racontent leurs guides ou professeurs. Ce musée a déjà besoin d'être réaménagé, ce qui figure aussi au programme du cinquantenaire.

Hommage aux soldats français

Le vainqueur de Dien Bien Phu, le général Vo Nguyen Giap, aurait souhaité que le site soit entièrement préservé. "Il fallait entourer le site et n'autoriser la construction qu'à l'extérieur", a-t-il confié au Monde à Hanoï. "Mais, a-t-il ajouté, quand j'ai donné mon avis au comité central du Parti communiste de laisser le champ de bataille intact, c'était trop tard. On restaure donc ce qui peut l'être. J'ai seulement obtenu que la statue de bronze ne soit pas installée au milieu de la plaine mais sur une colline." Cette "statue", un monument de 200 tonnes dont les éléments ont été transportés par camion, se retrouve au sommet de la colline la plus haute - l'ancienne position française Dominique -, où des ouvriers ont bâti un énorme socle ainsi qu'une vaste maison destinée aux hôtes de marque.

La ville mord sur les collines et il a fallu rogner pour donner de la place aux boulevards. M. Sang ne cache pas son "réel optimisme" concernant l'avenir de Dien Bien Phu, qu'il conçoit comme "un centre d'échanges entre l'Asie du Sud-Est et le sud-ouest de la Chine". La rumeur dit que l'expansion urbaine se nourrit aussi de trafics en tous genres, y compris illicites de drogue. "Nous pouvons accueillir 200 000 visiteurs par an", dit le président du comité populaire tout en remerciant "le peuple et le gouvernement français" d'avoir doté sa cité d'une usine de traitement des eaux.

La mémoire se retrouve aussi, non loin du centre, dans le jardin entretenu d'un sobre monument élevé, en 1994, à l'intention des "officiers et soldats de l'armée française morts à Dien Bien Phu". "A ses morts et disparus", l'Association nationale française des anciens combattants de Dien Bien Phu a tenu à rendre un hommage assez poignant dont se souvient le colonel Khau. "L'inauguration a eu lieu le jour du 40e anniversaire et, en tant que président de l'association des vétérans, j'ai accueilli la délégation d'anciens combattants français", rapporte-t-il. Au pied du monument français, des restes de baguettes d'encens indiquent que des visiteurs français s'y rendent régulièrement.

Par Jean Claude Pomonti - Le Monde - 5 Mai 2004.