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Les jolies colonies du Lot

Un document sur les «harkis d'Indochine» oubliés depuis 1956 dans un camp de Sainte-Livrade

Bien peu de documentaires ont été consacrés aux harkis d'Algérie. Mais que dire alors de ces «harkis d'Indochine», ignorés de tous, y compris des médias, oubliés depuis 1956 dans un camp de transit au fin fond du Lot-et-Garonne. Ils sont victimes aujourd'hui encore d'un crime d'indifférence. Parias de la jeune République du Vietnam, ils sont aussi les parias de France. Première coproduction franco-vietnamienne, en cette année de commémoration de la tristement célèbre défaite de Diên Biên Phu, le documentaire de Marie-Christine Courtès et My Linh Nguyen, s'impose donc comme un devoir de mémoire des plus bouleversants.

«Un lit en fer, une paillasse et deux couverts. Voilà ce qu'on nous a donné en arrivant», laisse tomber cette vieille Eurasienne. Comme les milliers de rapatriés qui fuyaient les ardeurs sulfureuses du Vietminh, elle est arrivée en France avec les derniers bataillons. Veuves et compagnes de militaires, enfants métis, fruits des amours coloniales ou Vietnamiens et Eurasiens ayant servi la France, tous croyaient en l'avenir dans cette seconde patrie. Mille deux cents d'entre eux échouèrent «provisoirement», du moins le croyaient-ils, dans ces baraquements militaires désaffectés, sans eau, sans chauf fage, à la sortie du village de Sainte-Livrade. Un demi-siècle plus tard, ils sont encore là : une centaine d'âmes, parquées, enterrées vivantes.

«Quand nous avons appris l'existence du camp, que moi-même, habitant à cent kilomètres, j'ignorais, nous avons tenu à rendre hommage à ces personnes qui ont maintenant l'âge de nos grands-parents et témoigner de l'échec d'une intégration, explique Marie-Christine Courtès. My Linh, qui est vietnamienne, a été mon sésame, car la plupart d'entre eux parlent à peine français.»

Sans tomber dans le misérabilisme, les deux réalisatrices se sont fondues dans cet univers de solitude, ce «Vietnam-sur-Lot» traversé parfois par quelque vélo et fantôme à chapeau pointu. S'attachant autant aux souvenirs dorés de Hanoï qu'à cet exil, leur film se fixe sur les témoignages dignes et émouvants, sur les regards trahissant la détresse, mais aussi sur les silences résignés des plus vieux qui n'aspirent plus qu'à mourir ici. Chacun racontant à sa façon un quotidien dans le plus grand dénuement, conjuguant au passé l'insouciance sous le ciel indochinois. Et puis... Sainte-Livrade, les durs travaux des champs pour les femmes, la scolarisation des petits sans contact extérieur avec obligation d'être baptisé, les fils qui veillent sur les anciens.

Cette mosaïque de vies émaillée de photos jaunies et d'archives historiques de la télévision vietnamienne résume sans complaisance le sort de ces déracinés contraints de recréer leur coin d'Asie pour ne pas sombrer tout à fait. Ainsi, d'une intimité à l'autre, on accompagne Emile Lejeune, septuagénaire, fils d'un magistrat et d'une princesse, petite-fille de l'empereur Minh-Mang qui «écrit ses Mémoires pour ne rien oublier...». On entendra ces quadras évoquer leur prime jeunesse «embastillée» : «Cette administration était de type militaire, avec un règlement intérieur, une assistante sociale, un médecin. Tout passait par la direction. Après l'école, on nous disait : tu seras maçon ou mécano, c'est ça ou plus d'allocations.» Il y aura enfin les «vieux» qui se taisent.

Autant de destins, abandonnés au temps, qui finiront par se fondre dans la pyramide des âges. Mais ces témoignages ne sont pas la seule force du film. La réalisation est travaillée, montrant les murs délabrés, les bouts de jardin, saisissant ici rites et repas traditionnels, là une expression, un geste, qui en disent plus que n'importe quel discours. Montrer aura certainement suffi à réveiller les consciences, mais peut-être pas assez pour que les pouvoirs publics fassent enfin acte de contrition.

«Le camp des Oubliés» sur France 3 Télévision à 0 h 40 le 8 Décembre 2004

Par Véronique Boulinguez - Le Figaro - 7 Décembre 2004


Abandon postcolonial

Si le scandale des harkis revient régulièrement sur le tapis (sans grand effet), celui des rapatriés d'Indochine brille par son absence des débats. Avec une affection évidente pour cette communauté oubliée, Marie-Christine Courtès et My Linh Nguyen ont réalisé un film pudique et mélancolique dans un camp «transitoire» où vit encore une centaine de personnes depuis près de 50 ans (lire aussi, sur le même sujet, Libération du 15 mai 2004).

Ils sont arrivés à Sainte-Livrade (Haute-Garonne) en 1956, rassemblés dans ces anciens baraquements militaires désaffectés. Ce sont essentiellement des femmes élevant seules leurs enfants. Veuves, divorcées ou abandonnées par leurs maris militaires à la fin du conflit. Parmi les 600 enfants que comptait le camp (sur le millier de réfugiés) la plupart sont Eurasiens. Comme cet homme qui montre ses photos en noir et blanc. «Mon père était français, magistrat devenu planteur de café. Il est tombé amoureux de ma mère qui était princesse. Ils n'ont pas pu se marier mais c'était la belle vie.»

A leur arrivée en France, ils reçoivent un lit en fer, un verre, un bol, une assiette, une fourchette et un couteau par personne. Et c'est tout. Le camp est clôturé, une barrière en ferme l'accès. Un prêtre contraint les familles à faire baptiser les enfants, afin qu'ils soient scolarisés, non pas dans les écoles de la région mais dans un établissement à l'intérieur du camp. L'isolement est à peu près total. Les seules sorties sont consacrées au travail agricole, à ramasser des haricots verts pour un salaire misérable et non déclaré. «Ceux qui, comme moi, avaient une dizaine d'années à leur arrivée ici, savaient qui ils étaient, d'où ils venaient», se souvient une femme dont la mère vit toujours à Sainte-Livrade. «Les plus jeunes, eux, n'avaient aucun repère. Ils ont inventé un langage fait de bribes de vietnamien et de français qu'ils apprenaient dans cette école.»

Peu à peu, ils sont tous partis. Tous, sauf quelques vieillards qui n'ont pas la force d'affronter un nouveau dépaysement. Ils sont vieux et fatigués, mais n'ont pas tout à fait perdu le sens de l'honneur, comme cette femme qui ne parle que vietnamien : «Mon mari était dans l'armée. Jusqu'à sa mort, il en a voulu à la France de nous avoir abandonnés. Mes amis me disent que j'ai le droit de demander une pension de veuve de guerre. Je n'en veux pas.»

Par Bruno Icher - Libération - 7 Décembre 2004


Télévision. Les oubliés de l’Indochine.

Un film retrace l’histoire du camp de Sainte-Livrade, en Haute Garonne, où, cinquante ans après Dien Bien Phu, vivent encore des épouses et des veuves de militaires français et indochinois. Un document d’une sobriété accablante.

La France n’aime pas beaucoup regarder son passé le moins flatteur en face. C’est donc à 00h40, dans la nuit de mardi à mercredi, que France 3 diffusera “ Le camp des oubliés”, un extraordinaire documentaire tourné à Sainte-Livrade. C’et là que vivent, pour certains depuis 1956, des épouses et des veuves, indochinoises ou eurasiennes, de militaires membres du Corps expéditionnaire français en Indochine. L’un des rares hommes qui témoigne dans ce film est un Eurasien, né d’un père magistrat et d’une mère appartenant à la dynastie impériale. Après des études brillantes, il fut incorporé dans l’armée, puis “ rapatrié”. Comme des centaines d’autres, la France, cette marâtre, l’accueillit dans le camp de Sainte-Livrade placé sous administration militaire et où ont grandi, dans la misère et le dénuement, près de 600 enfants. Parmi eux, une certaine Bambou, future compagne de Serge Gainsbourg.

L’encadrement est strict, très strict. Un prêtre, ancien missionnaire, veille sur ses ouailles et fait de l’acte de baptême la condition d’obtention d’aides ou de bourses. En toute impunité. Ne sommes-nous pas dans une République laïque où, visiblement, le sabre et le goupillon ont trouvé le moyen de poursuivre longtemps, dans certaines marges, leur vieux concubinage ?

Le film de Marie-Christine Courtès et My Linh Nguyen est d’une extrême sobriété. Il n’est pas un réquisitoire enflammé ni même un brûlot. Il se contente de montrer le sort que la France réserva à celles et ceux qui firent le choix de la servir et de l’aimer. Dire que nous en sortons grandis serait beaucoup s’avancer. L’une des phrases les plus belles du film est ce jugement d’une vieille femme qui ne parle que l’annamite: “ Mon mari était dans l’armée. Jusqu’à sa mort, il en a voulu à la France de nous avoir abandonnés. Mes amis me disent que j’ai le droit de demander une pension de veuve de guerre. Je n’en veux pas”.

Ne ratez pas cette émission, c’est une leçon d’histoire indispensable sur une page de notre passé infiniment moins médiatisée que le drame vécu par les Harkis en 1962 et qui fait figure à côté d’exemple de reconnaissance et de gratitude. C’est dire l’ampleur de la tragédie de Sainte-Livrade.

France 3, 0h40, “ Le camp des oubliés”, documentaire de Marie-Christine Courtès et My Linh Nguyen.

Par Patrick Girard - Marianne - 7 Décembre 2004