Une liberté sous contrôle
En pleine mutation sociale et économique, le Vietnam tente de trouver sur
le plan de la liberté d'expression une voie de transition. Entre libéralisme
commercial et contrôle politique.
SAIGON - Vous me demandez si notre journal a déjà été bloqué par les autorités? Oui bien sûr,
par deux fois, pour des articles trop critiques à l'endroit de la politique religieuse de
l'Etat.» Responsable de la rédaction de deux périodiques d'obédience catholique basés
à Hô Chi Minh-Ville, Pierre Nguyên Thanh Long ne peut cacher un sourire amusé
lorsqu'on lui parle de liberté de presse. Depuis une dizaine d'années, presse et médias
(notamment internet) ont connu un développement foudroyant au Vietnam. Ce qui
implique, de la part de ceux qui en ont fait leur métier, un certain pragmatisme...
Officiellement officiel
Au pays de l'oncle Hô, en effet, chaque journal doit être l'organe d'une association, la
presse au sens d'une entreprise privée n'étant pas encore admise formellement. C'est
ainsi, par exemple, qu'en 1980 a été créé à Hô Chi Minh-ville un comité de solidarité des
catholiques qui a permis aux deux journaux Công Giao et Dân Tôc (Catholique et
Nation) d'acquérir une position légale en en devenant l'organe officiel. «Depuis, nous
devons de temps en temps aller nous expliquer auprès de la commission de
propagande du Parti communiste, mais nous ne recevons pas d'ordre dans l'intérêt du
parti, nous sommes indépendants», poursuit l'éditorialiste saigonais.
Un cas exemplaire
Le cas de ces deux médias proches de l'Eglise catholique (la plus forte communauté
d'Asie du sud-est après les Philippines) est particulier dans la mesure où,
contrairement à la quasi-totalité des médias vietnamiens, ils n'ont jamais eu de membres
du parti dans leur comité de rédaction. Pierre Long explique: «Nous avons plus de
liberté que les autres. Mais nous devons bien sûr faire de l'autocensure...»
Le fait est que la politique religieuse reste un domaine sensible, au Vietnam, et les
positions du petit hebdo Công Giao (14 000 exemplaires) - diffusé surtout au
sud-Vietnam, c'est-à-dire loin du pouvoir politique centré à Hanoi - peuvent apparaître
comme trop indépendantes à l'endroit des lignes officielles. «Le pouvoir n'aime pas»,
poursuit le journaliste, «mais les articles sont très appréciés des lecteurs, notamment
communistes!»
Vers des concentrations
A l'image de la presse liée aux différentes Eglises, le monde médiatique vietnamien
connaît actuellement une effervescence sans précédent. «Il n'y a pas loin de 600
publications au Vietnam, c'est trop! Rien qu'à Hô Chi Minh-ville on en compte une
quinzaine. Nous allons vers des concentrations inévitables. Idem pour la télévision, le
nombre de chaînes augmente sans cesse. Officiellement, il faut avoir une parabole
pour recevoir des chaînes comme CNN ou TV5. En principe, la parabole est interdite
sans autorisation... en principe, car en réalité on peut le faire», poursuit Pierre Long.
Cette soudaine bagarre médiatique, inspirée du modèle occidental, n'est pas sans
risque: «l'ouverture économique a été trop rapide, l'ouverture politique l'est beaucoup
moins», poursuit le responsable de rédaction, «mais c'est peut-être mieux car avec
une ouverture politique trop rapide, nous risquerions une sorte d'éclatement du pays,
un peu comme l'ex-URSS ou l'ex-Yougoslavie. Je pense que le Vietnam pourrait tomber
à son tour dans la guerre civile».
Ouvert sur le monde
Vicaire général de l'archevêché de Saigon, le père Huynh Công Minh est plus
catégorique: «Au Vietnam, la presse n'est pas libre, il n'y a pas de journaux privés, tout
est encore sous contrôle du parti (communiste). Même si le système communiste, dans
les faits, c'est fini!» Pour l'heure, donc, les médias restent sous étroite surveillance
politique. Dans la presse quotidienne ou à la télévision, le modernisme de la forme
journalistique contraste avec le côté élagué des informations strictement factuelles,
l'absence de toute analyse de fond ou de commentaire politique indépendant. Sur ce
plan-là, Saigon est encore à des années-lumière de Hong Kong ou même de Bangkok.
Désormais ouvert au monde, à la recherche d'investisseurs, le Vietnam a vu naître
depuis une dizaine d'années deux quotidiens - l'un en langue anglaise, l'autre en
français - copies conformes de modèles occidentaux. Publiés par l'Agence nationale
d'information, Viet Nam News et Le Courrier du Vietnam se veulent un trait d'union
entre les milieux d'affaires, culturels ou diplomatiques étrangers et le développement en
cours du pays. Bien que la diffusion du quotidien anglophone soit nettement supérieure
à celle très discrète du Courrier (à Hanoi surtout), cette double présence traduit bien la
volonté officielle de redonner à la partie francophone un statut conforme à sa
présence historique au Vietnam. Pour sûr, le sommet de Hanoi en 1997 a laissé des
traces dans la nouvelle conscience francophone du Vietnam!
Par Pascal Baeriswyl - La Liberté (.ch) - 19 Décembre 2002.
La décrue menace déjà dans les églises chrétiennes
Deuxième plus importante communauté catholique d'Asie, après les Philippines, l'Eglise
catholique constitue aussi la seconde communauté religieuse du Vietnam (6 à 8% de la
population). Le passage à un régime communiste (à partir des années 50) a sonné le
glas d'une l'Eglise toute-puissante sous le régime colonial français.
Dès la fin de la guerre, en 1975, les catholiques se sont ainsi retrouvés dans la peau
de résistants à l'athéisme officiel. Toutefois, contrairement à la Chine, le pouvoir
vietnamien a toujours laissé une certaine latitude aux croyants, sur le plan de la
pratique religieuse, tout en limitant considérablement leurs velléités d'opinion.
Tendance à la baisse
Aujourd'hui, après une décennie de croissance soutenue, les églises affichent
souvent complet, mais la décrue menace. Vicaire général de l'archevêché de Saigon, le
plus grand du pays, le père Huynh Công Minh constate: «Jusqu'à récemment, les
églises étaient pleines lors des messes, mais il y a déjà des signes de baisse de la
pratique, surtout parmi les jeunes.» Paradoxalement, les sanctuaires se multiplient un
peu partout, à l'image des 60 églises construites dans le seul diocèse de Hô Chi
Minh-ville depuis une dizaine d'années.
En fait, poursuit le prélat, «avant 1975 il y avait très peu de monde dans les églises.
Avec l'arrivée des communistes au pouvoir, les églises se sont remplies. Maintenant,
l'ouverture économique fait craindre une nouvelle chute, même si la pression familiale
amène encore les jeunes à la messe». Alors qu'elles ont longtemps constitué un lieu de
«résistance spirituelle», les églises chrétiennes, comme les temples bouddhistes, ne
peuvent empêcher désormais le repli sur des valeurs matérielles et individualistes lié à
l'ouverture du pays.
Quelle liberté ?
Sur le fond du problème - à savoir la liberté d'expression - l'Eglise catholique est
soumise au dilemme traditionnel: liberté de pratique contre autocensure. «La question
est très complexe», souligne le père Minh. «Durant dix ans, après la guerre (1975-85),
la politique officielle était très antireligieuse. La nouvelle constitution assure aujourd'hui
la liberté de croyance ou d'opinion. Mais nous n'avons pas le droit de nous organiser.
Officiellement, les Eglises n'ont pas le droit d'association, même si dans la pratique elles
font comme si elle l'avaient...»
En laissant les communautés religieuses construire ou rénover, le pouvoir espère
obtenir de celles-ci une poursuite de l'autocensure de règle sous le régime
communiste. C'est précisément ce contre quoi s'insurge le Père Minh: «Finalement, le
pouvoir nous laisse faire des choses secondaires comme construire des églises. En
revanche, pour ce qui est des choses essentielles, nous ne sommes pas plus libres
qu'avant...»
Aider à réfléchir
Cette liberté sous étroite surveillance est renforcée par la pusillanimité, au Vietnam, à
faire de la politique en chaire. «Les prêtres n'ont pas l'habitude d'aider les chrétiens à
réfléchir sur les rapports entre la foi et la vie. On se satisfait de parler de la bible, des
textes sacrés, de façon abstraite. On ne touche pas à la réalité, car cela signifierait
toucher à la politique!», commente avec regret l'intellectuel catholique.
La prudence traditionnelle - fruit d'une culture confucianiste alliée au contrôle du parti -
fait que l'autocensure est encore de règle parmi les prélats. Cela d'autant plus que
parmi les nombreux évêques vietnamiens (29 au total), même au sein des plus jeunes,
rares sont ceux à oser bousculer le conservatisme des plus anciens. «Vous savez, le
concile Vatican II n'a pas été bien appliqué ici. Seule une minorité de prêtres aident les
gens à se poser des questions de fond. Plus grave, nous avons été habitués pendant
plus de deux décennies à nous comporter en Eglise institutionnelle, hiérarchique, sans
remise en question. Et on le sait bien, en tant qu'institution, l'Eglise s'accorde facilement
avec l'ordre établi...»
Chrétiens réprimés
Les autorités vietnamiennes exercent depuis le mois de septembre dernier une
répression contre des chrétiens des tribus montagnardes dans le centre du Vietnam.
Des douzaines de pasteurs ont été arrêtés ou sont portés disparus et 354 églises ont
été fermées, selon l'association «Portes ouvertes» basée à Prilly. A la mi-octobre, on
comptait environ 50 pasteurs ou responsables arrêtés ou «portés disparus».
Par Pascal Baeriswyl - La Liberté (.ch) - 19 Décembre 2002.
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