~ Le Viêt Nam, aujourd'hui. ~
Le portail de l'actualité vietnamienne

[Année 1997]
[Année 1998]
[Année 1999]
[Année 2000]
[Année 2001]

La 2ème vie de My Lê Thi, Chinoise et boat people vietnamienne devenue artiste à Sydney

« Après quatorze ans, je me suis dit que l'Australie c'était vraiment chez moi »

SYDNEY - My Lê Thi revient de loin : à Ban Me Thuot, au Vietnam, cette jeune Chinoise a vécu une vie d'enfer. D'abord, précisément, parce qu'elle était d'origine chinoise, ce qui n'était pas un avantage au vu de l'antagonisme de toujours entre les Vietnamiens et leurs puissants voisins du Nord. Ensuite, quand elle était enfant, sa mère était bonne à tout faire, et toutes deux étaient maltraitées par leurs maîtres.

« Ils nous laissaient les restes de leur nourriture, que l'on mangeait dans une pièce où vivaient les chiens », se souvient My Lê, trente-six ans aujourd'hui, à la table d'un pub de la « Chinatown » de Sydney. « Au Vietnam, en tant que Chinoise, j'ai compris très tôt ce qu'était le racisme », se souvient-elle. « Le racisme entre les gens, entre les tribus des montagnes et les gens des plaines, entres les Vietnamiens et les Chinois... » My Lê a perdu sa mère à l'âge de dix ans. A son tour, elle est devenue femme de ménage. Puis Saïgon est tombée, en 1975, et elle est devenue musicienne et danseuse dans un groupe de théâtre subventionné par le gouvernement d'Hanoï. Un jour, elle a essayé de fuir, en compagnie d'autres « boat people ». Mais son bateau a été arraisonné, et elle a passé deux mois en prison. « C'était en 1979. Je n'étais qu'une jeune fille, quelqu'un sans importance. Rien qu'une femme. Ça m'a évité de longues années d'incarcération... »

« C'était si grand »

En 1986, après s'être mariée avec un musicien du groupe et avoir eu un enfant, My Lê s'envole, légalement cette fois, pour l'Australie, avec son mari. Celui-ci a de la famille à Brisbane. Mais son mariage ne dure pas. Elle déménage et retrouve une tante à Darwin, au nord. Là-bas, elle apprend l'anglais, fait des ménages, vivote, puis devient traductrice. Et commence à étudier l'art et la peinture. « L'Australie, c'était si grand. Je me sentais perdue. Mais c'était la liberté », se souvient cette petite femme souriante . Dix ans plus tard, elle débarque à Sydney.

« Ça n'a pas toujours été évident pour moi de vivre ici en tant qu'Asiatique. Un jour, un homme m'a bousculée et je suis tombée par terre avec mes sacs de commissions. Il a hurlé : »Pousse-toi de là, espèce de chinetoque !« Je n'ai vu de lui qu'un crâne de cheveux blonds s'éloignant. Cela dit, ajoute-t-elle, je me sens bien ici. Longtemps, je me suis teint les cheveux en blond, parce que je voulais me fondre dans la foule. Ce n'est plus le cas maintenant : je me sens bien quand je vois, dans la rue, au café ou ailleurs, Blancs, métis, Asiatiques vivant côte à côte. »

My Lê Thi est désormais une peintre d'une certaine réputation. Ce soir, elle expose dans une galerie de Chinatown. Elle y montre des « installations » d'art contemporain, où elle exprime sa différence. Elle a peint des portraits de la dirigeante du parti extrémiste et raciste One Nation, Pauline Hanson, en noir, en jaune, en blanc, en rouge, « pour faire d'elle quelqu'un de toutes les couleurs ». Et le Vietnam ? : « J'y suis retournée il y a quelques mois. Je m'y suis sentie étrangère. Ce n'est plus mon pays. Je suis restée seulement trois jours à Saïgon. Et, pour la première fois après quatorze ans, je me suis dit que l'Australie, c'était vraiment chez moi. »

Le Monde, le 15 Septembre 2000.