La 2ème vie de My Lê Thi, Chinoise et boat people vietnamienne devenue artiste à Sydney
« Après quatorze ans, je me suis dit que l'Australie c'était vraiment
chez moi »
SYDNEY - My Lê Thi revient de loin : à Ban Me Thuot, au Vietnam, cette jeune Chinoise a vécu
une vie d'enfer. D'abord, précisément, parce qu'elle était d'origine chinoise, ce qui n'était
pas un avantage au vu de l'antagonisme de toujours entre les Vietnamiens et leurs
puissants voisins du Nord. Ensuite, quand elle était enfant, sa mère était bonne à tout
faire, et toutes deux étaient maltraitées par leurs maîtres.
« Ils nous laissaient les restes de leur nourriture, que l'on mangeait dans une pièce où
vivaient les chiens », se souvient My Lê, trente-six ans aujourd'hui, à la table d'un pub
de la « Chinatown » de Sydney. « Au Vietnam, en tant que Chinoise, j'ai compris très
tôt ce qu'était le racisme », se souvient-elle. « Le racisme entre les gens, entre les
tribus des montagnes et les gens des plaines, entres les Vietnamiens et les
Chinois... »
My Lê a perdu sa mère à l'âge de dix ans. A son tour, elle est devenue femme de
ménage. Puis Saïgon est tombée, en 1975, et elle est devenue musicienne et
danseuse dans un groupe de théâtre subventionné par le gouvernement d'Hanoï. Un
jour, elle a essayé de fuir, en compagnie d'autres « boat people ». Mais son bateau a
été arraisonné, et elle a passé deux mois en prison. « C'était en 1979. Je n'étais qu'une
jeune fille, quelqu'un sans importance. Rien qu'une femme. Ça m'a évité de longues
années d'incarcération... »
« C'était si grand »
En 1986, après s'être mariée avec un musicien du groupe et avoir eu un enfant, My Lê
s'envole, légalement cette fois, pour l'Australie, avec son mari. Celui-ci a de la famille à
Brisbane. Mais son mariage ne dure pas. Elle déménage et retrouve une tante à
Darwin, au nord. Là-bas, elle apprend l'anglais, fait des ménages, vivote, puis devient
traductrice. Et commence à étudier l'art et la peinture. « L'Australie, c'était si grand. Je
me sentais perdue. Mais c'était la liberté », se souvient cette petite femme souriante .
Dix ans plus tard, elle débarque à Sydney.
« Ça n'a pas toujours été évident pour moi de vivre ici en tant qu'Asiatique. Un jour, un
homme m'a bousculée et je suis tombée par terre avec mes sacs de commissions. Il a
hurlé : »Pousse-toi de là, espèce de chinetoque !« Je n'ai vu de lui qu'un crâne de
cheveux blonds s'éloignant. Cela dit, ajoute-t-elle, je me sens bien ici. Longtemps, je
me suis teint les cheveux en blond, parce que je voulais me fondre dans la foule. Ce
n'est plus le cas maintenant : je me sens bien quand je vois, dans la rue, au café ou
ailleurs, Blancs, métis, Asiatiques vivant côte à côte. »
My Lê Thi est désormais une peintre d'une certaine réputation. Ce soir, elle expose
dans une galerie de Chinatown. Elle y montre des « installations » d'art contemporain,
où elle exprime sa différence. Elle a peint des portraits de la dirigeante du parti
extrémiste et raciste One Nation, Pauline Hanson, en noir, en jaune, en blanc, en
rouge, « pour faire d'elle quelqu'un de toutes les couleurs ». Et le Vietnam ? : « J'y suis
retournée il y a quelques mois. Je m'y suis sentie étrangère. Ce n'est plus mon pays.
Je suis restée seulement trois jours à Saïgon. Et, pour la première fois après quatorze
ans, je me suis dit que l'Australie, c'était vraiment chez moi. »
Le Monde, le 15 Septembre 2000.
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