Les karaokes, rendez-vous le plus en vogue du Vietnam
HANOI - Des employés qui s'absentent de leur bureau pour aller pousser la chansonnette, aux écoliers qui sèchent les cours, en passant par les militaires ou les cadres du Parti communiste, le karaoke réunit des millions de Vietnamiens dans une même passion.
Dans toutes les villes et même dans les localités les plus reculées du pays, des dizaines de milliers de salons ont ouvert ces dernières années. La seule ville de Hanoï en compte plusieurs milliers. Dans un seul district de l'ancienne Saïgon, 300 karaokes ont été recensés.
"Si vous avez des soucis, venez les oublier avec nous et devenez un vrai chanteur", clame un gérant de l'un des salons de la capitale.
Le karaoke est d'abord l'endroit où se distraire dans un pays où cinémas ou théâtres sont rares, se retrouver entre amis --essentiellement entre hommes-- et où inviter une connaissance pour la remercier d'un service rendu.
"J'ai changé plusieurs fois de métier et le karaoke est de loin l'activité la plus rentable pour moi", déclare Tran Minh Hoi, patron d'un grand salon de Hanoï. "Nous accueillons des centaines de personnes chaque jour et j'espère que l'âge d'or de ces établissements n'est pas fini", ajoute-t-il.
Avant l'apparition des karaokes à la fin des années 80, les Hanoïens s'agglutinaient chaque soir durant la saison chaude aux terrasses des cafés pour écouter des chansons "révolutionnaires", la "musique rouge" étant la seule autorisée par le régime communiste pour stimuler la lutte d'indépendance nationale.
Les chansons romantiques "décadentes, réactionnaires", appartenant au répertoire
d'une "musique jaune" honnie, était strictement interdites durant les décennies de guerre.
Mais dans le Vietnam de l'ouverture économique, le menu des karaokes est très
varié: les clients s'égosillent au micro en vietnamien, en anglais en français ou même en chinois. Ils chantent encore parfois sur de la musique "rouge" ou des complaintes datant du régime de Saïgon, mais surtout beaucoup de rengaines étrangères, avec une nette préférence pour les mélodies américaines des années 80 ou les vieux tubes français.
Ces établissements privés sont devenus le lieu par excellence où, pour huit dollars l'heure, les clients peuvent chanter, boire du whisky ou de la bière, manger des fruits ou des pâtisseries et flirter avec les serveuses. Voire plus.
A Hanoï, la rue Thai Ha, ou "rue des karaokes", accueille des dizaines de salons
et plusieurs milliers de personnes chaque jour. Ces bars font souvent l'objet des descentes de police.
Les censeurs de la Culture ont en effet rendu les karaokes largement responsables de la flambée actuelle au Vietnam de la prostitution, de la toxicomanie, de la délinquance, des divorces ou de la corruption. Mais en dépit de nombreuses campagnes "d'assainissement culturel" et de la fermeture d'établissements jugés douteux, les karaokes ont prospéré.
Si la passion des karaokes était initialement limitée à certaines couches sociales, comme les hommes d'affaires aisés ou les cadres, elle réunit désormais des millions de Vietnamiens tous milieux confondus, même les membres du Parti communiste et des forces armées.
"Notre karaoke demande peu d'investissement de départ et nous ne payons pas nos
serveuses puisqu'elles vivent des pourboires", raconte un autre propriétaire de
karaoke de Hanoï. "Nous avons une trentaine de serveuses", dit-il.
"Je suis un drogué du karaoke, et pourtant cela me coûte très cher", confie Nguyen Dam, réparateur de mobylettes. "J'y vais beaucoup car il n'y a pas assez de lieux de divertissement à Hanoï", explique-t-il.