D'habitude discrète, la justice vietnamienne apparaît en pleine lumière
La justice, habituellement discrète et rarement
mise en valeur au Vietnam, occupe le devant de
la scène avec l'ouverture mardi du procès du
"parrain" du pays, Nam Cam, mais a peu de
marge de manoeuvre pour devenir plus
puissante ou plus indépendante.
Le cérémonial du procès ne bénéficie pas de la
même sacralisation au Vietnam qu'en Occident
et la presse locale ne connaît guère la chronique
judiciaire.
"Il n'y a pas de culture du procès comme en
Occident. C'est un trait propre à beaucoup de
pays asiatiques. On lui préfère l'arbitrage",
remarque un chercheur étranger.
L'indépendance de la justice n'a en outre jamais
fait bon ménage avec les régimes communistes.
Mais c'est bien un tribunal qui devra montrer la
détermination de Hanoi à combattre la
criminalité organisée.
"La corruption s'est développée trop vite. Il
fallait marquer un gros coup", estime un
diplomate étranger. Jamais le Vietnam n'avait
jugé 155 prévenus en même temps. S'y
ajouteront 79 avocats de la défense et environ
280 victimes, familles et témoins, sous la
surveillance de quelque 300 policiers.
Jamais non plus elle n'avait traîné en justice
d'aussi hauts responsables, en l'occurrence
deux ex-membres du Comité central du Parti
communiste vietnamien, dont l'ex-directeur
général de la radio officielle et l'ancien
vice-Ministre de la Sécurité publique.
Jamais enfin une affaire n'avait à ce point
défrayé la chronique d'une presse aux ordres.
Les journaux ont été friands des tribulations
d'un gangster digne d'une saga de cinéma.
Chaque jour, elle a décrit la "vie de débauche"
de Nam Cam et ses "voyages en Thaïlande et
Singapour où il s'offrait des filles pour des
milliers de dollars".
La justice, un nouveau pouvoir au Vietnam?
Probablement pas. Nul ne se fait d'illusion sur
l'issue d'un procès dont les peines auraient déjà
été décidées. Et il reste hasardeux d'anticiper le
rôle de la machine judiciaire dans le Vietnam
futur.
"La réforme de la justice doit assurer le
renforcement du pouvoir judiciaire et le maintien
d'une société juste, stable, démocratique et
développée", assure le président Tran Duc
Luong.
Mais les observateurs sont prudents. "Il faut
prendre du recul et regarder sur le long terme. Il
est trop tôt pour se faire une idée claire", ajoute
le chercheur étranger.
Par Didier Lauras - Agence France Presse - 23 Février 2003.
En quête de légitimité, le régime vietnamien juge son "parrain"
Le procès du "parrain" le plus puissant de
l'histoire du Vietnam s'ouvre mardi à Ho Chi
Minh-Ville (sud), étape fondamentale pour un
régime qui entend regagner une légitimité
remise en cause, à l'intérieur du pays comme à
l'étranger, par une corruption endémique.
Même si Truong Van Cam, alias Nam Cam,
tiendra la vedette des 55 jours d'audience, il
aura à ses côtés 154 autres prévenus, autant
d'hommes de main, de complices et de
hauts-fonctionnaires tombés en disgrâce pour
avoir protégé ses lieutenants et profité de ses
lucratives activités.
Parmi ses hiérarques figurent Bui Quoc Huy,
ancien vice-ministre de la Police et Tran Mai
Hanh, ex-directeur général de la radio officielle la
Voix du Vietnam, tous deux exclus l'an passé du
Comité central du Parti communiste vietnamien.
Pham Si Chien, ex-procureur adjoint du Parquet
populaire suprême, symbolisera quant à lui la
complicité de la machine judiciaire.
Vétéran de l'ex-armée du sud-Vietnam, ancien
docker, Nam Cam, âgé de 55 ans, comparait
pour sept chefs d'accusation, du meurtre à la
corruption active en passant par l'organisation
de filières de fuites à l'étranger. S'il est reconnu
coupable, il est passible de la peine de mort.
"Tous les grands procès au Vietnam, en
particulier les cas de corruption importants, sont
un théâtre politique", affirme Carl Thayer, un
spécialiste du Vietnam à l'Australian Defence
Force Academy (ADFA).
"La décision a déjà été prise", ajoute-t-il,
affirmant à voix haute ce que les diplomates en
poste à Hanoi reconnaissent discrètement.
Nam Cam avait été arrêté une première fois en
1995 dans l'ex-Saïgon, avant d'être relâché 30
mois plus tard à la faveur de l'intervention de
hauts responsables.
Depuis sa seconde arrestation en décembre
2001 dans l'ex-Saïgon par des policiers
spécialement dépêchés d'une province voisine,
son dossier a rempli les pages des quotidiens,
particulièrement violents à l'égard des
hauts-responsables impliqués dans le scandale.
Les responsables politiques du pays, le numéro
un du parti Nong Duc Manh en tête, ont érigé
l'audience en symbole de la volonté du régime
d'éradiquer la corruption, sans cesse montrée
du doigt par les investisseurs et les
organisations internationales.
Plus de 170 journalistes locaux et étrangers
assisteront au procès, dont les ouverture et
clôture seront retransmises en direct à la
télévision. Mais les observateurs s'interrogent
sur le caractère réellement exemplaire de la
procédure et sur la capacité de l'Etat à
débarrasser son appareil de ses éléments les
plus corrompus.
"S'ils veulent vraiment montrer qu'ils deviennent
intraitables, ils devront produire toute une série
d'affaires comme celles-là", assure Tony Foster,
président de la Chambre de commerce
américaine à Hanoi.
Mais pour Karl Thayer, le message est surtout
destiné aux membres du parti communiste et
aux millions de Vietnamiens qui font montre
d'une distance de plus en plus grande avec
l'organe suprême, son discours et sa crédibilité.
"Le gouvernement essaye de démontrer au
public qu'il est sérieux dans son combat", ajoute
l'expert. "Un échec diminuerait sa légitimité et
serait déstabilisant sur le plan politique".
Les habitants de Hanoi semblent pourtant plutôt
apathiques face à cette tentative du parti de
sauver la face.
"Je suis trop occupé à prendre soin de ma famille
pour m'occuper de ce procès", élude Vu Trong
Tam, 53 ans, ex-militaire. "Je suis une personne
ordinaire et même si la corruption est un
problème, je ne peux rien y faire".
Par Ben Rowse - Agence France Presse - 23 Février 2003.
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