Vietnam : journalistes très contrôlés
Cette semaine, à l'occasion de la journée de la liberté de la
presse (3 mai), nous nous penchons sur les entraves au droit
d'informer à travers une série d'exemples en Algérie, au
Tchad, en RD Congo en Russie et aujourd'hui au Vietnam où
se tenait il y a quelques jours le congrès du Parti
communiste.
Any Bourrier, envoyée spéciale de RFI, témoigne sur les conditions
d'exercice du métier de journaliste au Vietnam où elle vient de se
rendre à l'occasion du congrès du Parti communiste au pouvoir à
Hanoï.
RFI : Dans quelles conditions avez vous pu travailler au
Vietnam ?
Any Bourrier : C'est extrêmement difficile, voire impossible. Le
Vietnam est un Etat policier qui ne respecte pas les libertés
fondamentales. Il existe en outre une loi particulièrement restrictive
en ce qui concerne la presse étrangère. J'avais fait une demande
officielle de visa de presse auprès de l'ambassade vietnamienne à
Paris, mais je m'étais bien gardée de leur dire où j'allais loger.
Résultat: j'ai bénéficié de deux jours de tranquillité une fois arrivée à
Hanoi. Deux jours pendant lesquels, les agents du ministère des
affaires étrangères m'ont cherchée dans tous les hôtels de la ville.
Comme ils ne me trouvaient pas, ils ont appelé leur ambassade à
Paris qui avait mon numéro de téléphone portable. L'ambassade
m'a joint là-bas en me demandant de me mettre en contact avec le
ministère vietnamien des affaires étrangères afin d'établir mon
accréditation pour la durée du congrès du parti communiste.
RFI : Que s'est-il passé ?
A.B. : J'ai eu le droit à une grande leçon de morale doublée d'une
séance d'intimidation. Dans les locaux du ministère, on m'a
expliqué que la loi sur la presse étrangère exigeait que j'établisse
sur le champ la liste des personnes que je souhaitais rencontrer
lors de mon séjour dans le pays. Et ils ont ajouté que pour mes
rencontres avec des interlocuteurs vietnamiens, je devrais être
accompagnée d'un agent du ministère des affaires étrangères qui
assisterait aux interviews. Je me suis contentée de dire que j'allais
rencontrer l'ambassadeur de France et quelques membres de la
communauté française. Et l'accréditation m'a été délivrée.
RFI : Dans quelles conditions avez vous «couvert» le congrès
?
A.B. : Il a été quasiment impossible de réaliser des interviews.
Chaque jour, je respectais la procédure et demandais à pouvoir
rencontrer le général Giap ou le ministre des affaires étrangères ou
sa porte-parole ou d'autres personnalités du parti. Et chaque fois,
on me répondait que ce n'était pas possible, faute de disponibilité
de la part de ces personnes. Résultat : aucune interview dans le
cadre officiel.
RFI : Avez-vous pu entrer en contact avec des dissidents ?
A.B. : Durant mes deux premières journées sur place, avant d'être
pistée par les agents de surveillance du ministère, j'ai pu établir
quelques contacts et puis d'autres personnes ont appris que je me
trouvais à Hanoi et m'ont fait parvenir des messages. C'est le cas
du vieux dissident Le Dat que j'ai pu rencontrer et interviewer chez
lui. Mais à peine étais-je de retour à mon hôtel que deux personnes
du ministère se sont présentées en disant : «nous savons que vous
avez rencontré un Vietnamien et que vous avez pris contact avec
d'autres. Vous devez nous donner la cassette de l'interview. Si vous
refusez, elle sera saisie à votre départ du pays». J'ai conservé la
cassette et immédiatement après leur départ j'ai transmis l'interview
à Paris et j'ai annulé mes autres rendez-vous pour ne pas mettre
mes interlocuteurs en danger.
RFI : Certains d'entre eux ont-ils été menacés ?
A.B. : C'est plus subtil. Un général dissident de l'armée que je
devais rencontrer a reçu de la visite et on lui a expliqué que s'il
rencontrait la journaliste de RFI, alors la journaliste serait expulsée.
Il faut dire que sur place, on considère RFI comme «l'ennemi du
régime» en raison des émissions en français et en vietnamien que
nous diffusons. Et lorsque j'étais sur le point de prendre l'avion pour
quitter le pays, mes bagages ont été fouillés. Mes cassettes ont
été saisies et écoutées pendant une heure et demi. Comme je
n'avais laissé dessus que les enregistrements du congrès, ils m'ont
laissé partir, mais du coup, j'avais raté mon avion. Une petite
vengeance sans doute de la part des agents chargés de me suivre.
RFI : Outre les médias internationaux, comme RFI, existe-t-il
une presse indépendante du pouvoir ?
A.B. : Non. Et pour les médias du régime, il n'existe aucune
possibilité de travailler librement. Certains d'entre eux, sous couvert
de l'anonymat, racontent que les rédactions sont dirigées par des
hommes des services spéciaux et que tout est censuré. Toutes les
informations sont sous contrôle et les journalistes pratiquent
l'auto-censure à haute dose. Résultat : les médias se contentent de
répercuter la langue de bois du régime. Il faut alors lire entre les
lignes, ou entre les photos pour être informé. Lorsque Nong Duc
Manh a été désigné au poste de secrétaire général du Parti, son
prédécesseur a disparu des photos publiées par la presse
vietnamienne. Les photos sur lesquelles figurait Le Ka Phieu ont
été retouchées pour le faire disparaître comme à l'époque
stalinienne ou comme dans tous les régimes totalitaires.
Propos recueillis par Philippe Couve - Radio France Internationale, le 3 Mai 2001.
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