~ Le Viêt Nam, aujourd'hui. ~
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Jouer à la guerre du Vietnam

Même virtuellement et pour jouer, liquider un village au napalm n'est ni drôle ni de bon goût. Voilà qui explique peut-être qu'il a fallu attendre trente ans pour voir se développer les jeux vidéo retraçant le bourbier vietnamien dans lequel s'étaient engouffrées les troupes américaines. Le traumatisme n'est pas encore digéré aux Etats-Unis, mais les simulations arrivent en force sur le marché.

D'ici à la fin de l'année, une demi-douzaine de jeux seront disponibles, les concepteurs ayant visiblement tous trouvé au même moment les moyens de mettre en scène cette période sombre et ambiguë. Car si les jeux sur la seconde guerre mondiale ou la lutte contre le terrorisme prolifèrent, c'est que les ennemis et les causes à défendre sont bien identifiés.

Mais cette fois, pour Matt Costello, concepteur de "ShellShock : Nam'67", comme pour ses collègues, il ne s'agit pas seulement de "fun". Imaginer des scénarios conformes à la sinistre réalité de missions obscures et discutables, recréer les ambiances oppressantes des jungles ou des rizières, voilà qui les a forcés à se remettre en cause éthiquement et techniquement. Ainsi, pas question de borner les scénarios à une lutte du Bien contre le Mal. Le cinéma a montré la voie, Battlefield Vietnam recyclant franchement La Chevauchée des Walkyries de Wagner, inoubliable bande-son de l'Apocalypse Now de Coppola. On doit ressentir l'enfer de la guerre, jusqu'au malaise. Les jeux sont d'ailleurs théoriquement réservés aux plus de 13 ans, les producteurs tablant sur un public plutôt âgé.

Toutefois, des mesures ont été prises, et les joueurs ne participent pas directement aux événements les plus sensibles. "Nous ne voulions pas être remerciés pour le plaisir que l'on pourrait prendre à dégommer des civils ou ce genre de choses", expliquent les scénaristes de "Men of Valor". Soumis à cette autocensure, ils préfèrent insister sur les valeurs de camaraderie, et il n'est pas rare de devoir aller sauver un compagnon en danger. En revanche, le scénario pousse l'audace jusqu'à dénoncer les supplices subis par un combattant nord-vietnamien aux mains des forces américaines, ou à reproduire les dialogues badins de soldats sur l'inanité de leurs patrouilles.

Quel que soit le jeu, l'incertitude plane souvent sur le pourquoi de la mission, durant laquelle on peut errer longtemps sans croiser âme qui vive, même si l'ennemi rôde forcément. Bref, les bonnes vieilles recettes des jeux traditionnels ne sont pas de mise, et l'environnement même est original. La qualité des graphismes, dans "Vietcong : Purple Haze" notamment, est remarquable. Se perdre dans les marais sous une mousson déferlante, ou être contraint à jouer au "rat du tunnel" offre une dimension jusque-là peu explorée. Bref, on aura compris que ces jeux sont davantage axés "simulation réaliste" que "défouloir sanguinaire". Reste que la réalité était bien sanglante, elle...

Cette intrusion massive du Vietnam dans le monde du jeu vidéo pourrait éveiller certaines consciences. Des consciences que l'armée américaine se garde bien de mépriser : depuis l'an passé, elle propose gratuitement, sur Internet, une simulation digne d'un jeu vendu dans le commerce. A cela près qu'à la fin s'affiche un message signalant que si l'on a aimé le jeu, on ne sera pas décu en s'engageant dans l'armée, la vraie, celle qui s'enlise aujourd'hui en Irak.

Par Grégoire Pourtier - Le Monde - 14 Avril 2004.