Etre jeune au Vietnam: la guerre oubliée et le rêve
américain
HANOI - Société de consommation, internet et crainte du chômage: les moins de 25 ans, première génération à n'avoir pas connu la guerre au Vietnam ont aujourd'hui des passions et
inquiétudes éloignées de celles de leurs parents.
Alors que le Vietnam communiste s'apprête à célébrer le 30 avril le 25ème anniversaire de la chute de
Saïgon et de la fin de la guerre du Vietnam, la jeunesse vietnamienne semble largement indifférente à
l'idéologie communiste et à l'idéal d'indépendance nationale pour lesquels les générations précédentes
avaient versé leur sang depuis le début des années 1940.
"La politique ne m'intéresse pas, mon rêve est d'obtenir une bourse pour partir poursuivre mes études
aux Etats-Unis", affirme Lan Pham Huong, 23 ans, qui travaille dans une boutique de souvenirs de
Hanoï.
Melle Huong est restée 2 ans au chômage après la fin de ses études et elle estime que son diplôme universitaire d'anglais ne lui
sert guère dans son emploi actuel.
Après avoir passé 5 ans en moyenne à l'université, des centaines de milliers de jeunes Vietnamiens diplômés de l'enseignement
supérieur n'ont d'autre choix que de rejoindre le contingent des chômeurs.
Les plus privilégiés, qui ont décroché un emploi souvent grâce à leurs relations familiales, font preuve de leur côté d'une frénésie
de consommation.
Habillés aux dernières modes inspirées des vidéos piratées de films américains, téléphone portable à la ceinture, roulant sur des
motocyclettes japonaises ou des scooters pour les plus fortunés, ils se réunissent dans des cafés à la mode pour boire du
Coca-Cola et écouter de la musique pop.
A Hanoï comme à Ho Chi Minh-Ville, l'ancienne Saïgon, les moins de 25 ans, qui représentent plus de la moitié des 77 millions
de Vietnamiens, considèrent que la guerre anti-américaine ne les concerne pas et ils l'évoquent rarement.
"Je sais que des membres de ma famille ont combattu pendant la guerre, et les journaux parlent toujours de cette période, mais
pour nous aujourd'hui c'est un passé révolu", dit Bui Van Biet, serveur dans un "café internet" de Hanoï.
"J'aimerais que le gouvernement pense maintenant plus à la jeunesse, et surtout à ses loisirs", ajoute-t-il en regardant les
consommateurs pianoter sur leurs consoles pour se connecter à des sites étrangers.
Le manque de distractions, l'absence presque totale de boîtes de nuit ou de terrains de sport, reviennent fréquemment dans les
conversations des jeunes qui occupent souvent leurs soirées en participant à des rodéos nocturnes à moto dans les rues du
centre de la capitale.
La presse officielle vietnamienne se fait régulièrement l'écho de ces "dérives idéologiques" de la jeunesse et les dirigeants du
pays ne manquent pas dans leurs discours de rappeler le "devoir sacré" du patriotisme.
Les autorités s'inquiètent également de la montée de la délinquance juvénile qui s'est accrue de près de 200% depuis le début
de l'ouverture économique du pays en 1987.
"Nos dirigeants nous parlent sans cesse de la guerre, et ils rejettent sur le passé nos difficultés économiques actuelles, mais
notre pays reste l'un des plus pauvres au monde et nous sommes lassés de leurs discours moralisateurs et idéalistes", affirme un
étudiant d'une école de commerce privée.
"Aujourd'hui ce que nous voulons, c'est réussir en affaires et gagner de l'argent pour atteindre un niveau de vie égal à celui des
pays asiatiques voisins", ajoute-t-il.
Le jour de l'anniversaire de la guerre "je regarderai peut-être les cérémonies à la télé, s'il n'y a pas un bon film américain sur une
chaîne par satellite...", conclut-il.
AFP, le 19 Avril 2000.
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