La présence française en Extrême Orient a débuté au XVIIe siècle
A partir d'aujourd'hui, le Colonel Chaudron raconte en 4 volets pour nos lecteurs, les 340 ans de la présence française en Extrême-Orient des débuts à 1956, date à laquelle les Français quitteront définitivement l'Indochine.
La présence française se manifeste en Extrême-Orient dès le XVIIe siècle avec l'arrivée de missionnaires de la compagnie des Jésuites, venant prêcher le catholicisme.
Dès 1616 et 1624, le père de Rhodes effectue plusieurs séjours au Tonkin et en Cochinchine où, pris de passion pour la langue annamite, il créera l'écriture moderne de cette langue (le Quoc Ngu) toujours officielle de nos jours.
Ces missions catholiques sont acceptées, parfois persécutées, expulsées,
mais reviennent toujours et créent en 1658 trois évêchés installés au Siam, en Cochinchine et au Tonkin.
Puis en 1664, Colbert crée la Compagnie des Indes occidentales et orientales avec l'intention d'avoir, à partir des comptoirs, des objectifs commerciaux en direction de la Chine et du Japon. C'est dans cet esprit que nous acquierons, dans le golfe du Bengale en 1674 Pondichéry, en 1686 Chandernagor, suivi en 1739 par l'achat au sultan local de Karikal. Dans les mêmes conditions, notre drapeau va flotter sur Yanaon. Notre installation se terminera, là, avec la prise de possession en 1721 de Mahé (la perle du Bengale) sur la mer d'Oman. Ces colonies, souvent objets de discordes avec les Anglais, seront peuplées au fil des siècles par quelque trois cent mille Français et des Hindous ayant la nationalité française. La culture du riz et la pêche sont les seules ressources de ces enclaves qui jouent essentiellement leur rôle de comptoirs. Ce sont des escales sur la route de l'Extrême-Orient. Et ce même Extrême-Orient au regard de nos velléités économiques et commerciales vers la Chine et le Japon, ne peut avoir meilleur tremplin géographique que la péninsule du sud-est asiatique, que nous appellerons plus tard l'Indochine.
Cette péninsule, fin 17e début 18e siècle, est un territoire morcelé, constitué à l'ouest par deux royaumes : le Cambodge et le Laos, ce dernier étant lui-même divisé en 8 féodalités puis, dans sa partie est trois Ky (provinces). Au nord, le Bac Ky qui correspond au Tonkin, le Trung Ky l'Annam et le Nam Ky la Cochinchine où sévissent en fait deux souverainetés toujours rivales : une au nord et une au sud.
Et c'est là, dans ce sud, que va commencer l'histoire de la France en Indochine. L'instigateur en est l'évêque Pigneaux de Béhaine, en charge d'un évêché en Annam, devenu confident et ami de l'empereur Nguyen Anh lequel contesté par ses vassaux, un temps exilé, lui confiera, pendant cet exil, le tutorat du prince héritier alors enfant. Et quelques années plus tard, ce même Pigneaux, intrigant, fin diplomate, rétablit l'Empereur Nguyen Anh dans son autorité.
En remerciement, celui-ci, en 1787, signe avec la France un traité nous accordant le monopole du commerce sur la Cochinchine. L'on peut, sensément considérer cette date comme le début de la colonisation de ce qui deviendra l'Indochine.
70 ans plus tard, sans doute pour mieux asseoir ce monopole, Napoléon III fait occuper Saïgon, bourgade sur la rivière du même nom, et à partir de 1858, au prétexte de protéger les chrétiens persécutés, il entame une politique de colonisation de l'Annam. Entre temps, Norodom, le roi du Cambodge, héritier d'un royaume qui a connu son apogée de l'an 900 à 1300, puis une décadence de cinq siècles où son territoire a été convoité par le Siam et l'Annam. Et depuis 1850, il est concrètement menacé par le même Siam qui revendique les provinces de Battambang et Siemréap (où se trouvent les fameuses ruines d'Angkor). Il demande l'aide de la France, aide aussitôt accordée et qui, sous notre pression, renvoie le Siam dans ses frontières. Cette action, après moult négociations avec les Siamois et les Cambodgiens, débouche sur le traité d'Oudong (alors capitale du royaume), traité qui établit, en 1863, notre protectorat sur le Cambodge. Notre premier représentant est Doudart de Lagrée, officier de marine qui, à partir de ce pays, de concert avec Francis Garnier, un autre officier de Marine, va explorer le Mékong, fleuve majestueux de 4100 kilomètres, prenant sa source en Chine et qui sur son passage longe le Laos et fertilise le Cambodge.
A partir des années 1840-1850, nous avons obtenu, en Chine, alors enjeu colonial, des concessions à bail dans les villes de Kouang Tchéou, Shangaï, Tien Tsin, Han Kéou, et Nankin.En 1860, afin de protéger les missions religieuses et les Européens installés dans le pays, nous avons monté, avec les Britanniques une opération dont le succès sanctionné par le traité de Palikao nous a ouvert les portes de Pékin. Les garanties exigées, obtenues notre armada de 8 000 hommes victorieuse, va rejoindre la Cochinchine, épisodiquement soulevée et participer à sa pacification définitive. Des actions sporadiques sont également menées par la Marine sur les Côtes d'Annam où Tourane et Hué sont l'objet de débarquements, d'évacuations, de retours, le tout lié à des accords et des reniements de l'Empereur Gia Long.
Notre présence au Cambodge et en Annam, est alors un bon prétexte pour annexer la Cochinchine, vassable de l'Annam, ce qui ne se fera pas sans mal, l'Annam et la Cochinchine disposant alors sur place d'une armée d'environ dix mille hommes.
Le grignotage des différentes provinces, dont certaines défendues par des forts, tel Saïgon où ceux de la plaine des tombeaux couvrent la bourgade (300 000 habitants répartis en villages). Cette conquête demandera, dans un premier temps six ans, et ce n'est qu'en 1867 que le pays, sous l'égide des amiraux Charner, Bonnard, de la Grandière, sera définitivement érigé en colonie, statut reconnu par la Cour d'Annam.
Au nord de ces deux Ky, Cochinchine et Annam, le Tonkin est aussi une vassalité, une vice-royauté de l'Annam. C'est une région où sévissent les « Pavillons noirs » pirates venus jadis depuis la Chine et les « Pavillons jaunes », de la même ethnie mais dissidents. Ils mettent le pays en coupe réglée, et également flibustiers, contrarient nos espoirs commerciaux avec la Chine en gênant l'accès terrestre au Céleste Empire.
Cet accès passe par un passage symbolique dit « porte de la Chine », une trouée, un défilé, à la frontière nord du Tonkin, à Dong-Dang, au nord-est de Langson.
C'est l'axe de pénétration vers la partie la plus peuplée de la Chine. L'accès à cette région peut normalement emprunter le Fleuve Rouge, domaine de prédilection des pirates rançonnant et pillant les jonques qui transportent des marchandises au profit du négoce local et celui, important d'exploitants français. Pour ces deux raisons, somme toute hautement commerciales, après bien des tergiversations et des hésitations, le gouvernement donne son feu vert pour mener, localement, une action remontant le Fleuve Rouge, et prendre HanoÏ, point-clé de la région.
Elle est confiée sur place, avec des maigres effectifs, à Francis Garnier, déjà explorateur du Mékong et de la Chine , personnage alternant congés et services dans la Marine Nationale, ci-devant Lieutenant de vaisseau qui prend la citadelle d'Hanoï le 20 novembre et pendant un mois se rend maître de plusieurs localités au sud du Fleuve Rouge.
Mais il va payer de sa vie sa fougue et son entrain, dans une embuscade à la sortie d'HanoÏ. Capturé par les Pavillons Noirs, il sera décapité le 21 décembre.
Sous la pression diplomatique de l'Annam, avec la signature d'un nouveau traité de paix et d'alliance, nous évacuons Hanoï début 1874. Bien évidemment, ce n'est pas la paix, le traité étant régulièrement bafoué par la cour de Hué. En 1881, après de multiples humiliations d'explorateurs, d'ingénieurs reonnaissant les mines de charbons, de fonctionnaires de la légation par les Pavillons Noirs. Afin de pallier à l'incurie du gouvernement annamite incapable de faire respecter le traité d'alliance, nous sommes déterminés à prendre l'administration de la ville de Hanoï. C'est une mesure préventive destinée à maintenir et affermir notre présence au Tonkin. Une expédition est confiée, en 1882, au capitaine de vaisseau Rivière qui dispose d'environ 500 hommes pour mener à bien cette mission. Mais la citadelle étant tenue par un bon millier de guerriers, il attendra un renfort venant d'Haïphong avec quelques canonnières pour prendre d'assaut la citadelle le 2 avril, alors qu'environ 5000 Pavillons noirs s'apprêtent à attaquer nos troupes autour de la ville et dans le delta du Fleuve Rouge. Sans doute pour des raisons diplomatiques, notre gouvernement temporise, évite l'affrontement, et déclare ne pas vouloir occuper tout le pays. Néanmoins, en mai, la Chine se déclare tuteur de l'Annam et exige, impérativement notre retrait de la région. Injonction à laquelle nous n'obtempérons pas, alors les Chinois annoncent l'entrée d'une armée au Tonkin. De fait, leurs troupes, avec les Pavillons Noirs, envahissent la région de Langson et atteignent même les faubourgs d'Hanoï. Les négociations reprennent (nous sommes en Asie et rien n'est jamais définitif), et les Chinois finissent par accepter de se retirer. Notre implantation va se poursuivre et des civiles français arrivent pour développer des exploitations agricoles et minières. Dans le cadre des éternelles négociations, le commandant Rivière doit se rendre à un rendez-vous avec un mandarin local. Au cours de son déplacement dans la banlieue d'Hanoï, à l'approche d'un fortin, au lieu-dit « Le Pont de Papier », sa colonne tombe dans une embuscade. Dans le feu de l'action, il est capturé et livré au mandarin qui le fait décapiter.
A la suite de ces évènements, notre gouvernement se ressaisit et décide d'envoyer des renforts : trois mille hommes qui débarquent à Hanoï en juin 1883. Leur arrivée coïncide avec un événement fortuit : la mort de Tu Duc l'empereur d'Annam. C'est l'occasion idéale pour mener une action offensive, reprendre le Tonkin, et imposer un traité de protectorat. Bien entendu, ce traité ne sera pas respecté par les Annamites et l'occupation militaire, avec le renfort du Général Négrier, opposé à plusieurs milliers de Chinois et de Pavillons Noirs, va tout de même conquérir du terrain. En mai 1884, une convention franco-chinoise nous permet d'occuper les places de Cao-Bang, That-Qué, Langson adossés à la frontière chinoise. Ce qui n'empêche pas le harcèlement et les attaques de nos colonnes en route vers ces places. En représailles à ces actions une division navale aux ordres de l'Amiral Courbet va croiser, à des fins d'intimidation, au large des territoires chinois de FouTchéou et de Formose et de nouvelles négociations sont entamées, elles vont déboucher sur le traité de Tien Tsin qui reconnaîtra notre autorité sur le Tonkin. Des difficultés surgissent bien évidemment dans son application, les troupes chinoises traînant pour se replier. Aussi, en août 1884, malgré l'opposition de la Flotte chinoise, l'arsenal de Fou Tchéou est détruit, Formose occupée et le blocus du riz destiné à la Chine est décrété.
En mars 1885, le Général Négrier, avec une division, reçoit la mission de prendre Langson et Dong-Dang, la fameuse porte de Chine. Mais il se heurte à une forte armée chinoise. Grièvement blessé au cours de l'action, il passe le commandement de l'opération à son adjoint le lieutenant-colonel Herbinger qui, pris de panique, se replie dans un premier temps sur Langson, qu'il évacue aussitôt en catastrophe. En Métropole, le gouvernement est toujours très divisé sur l'affaire indochinoise. Les politiques s'affolent, Langson qualifiée de désastre devient une affaire nationale. Jules Ferry, président du Conseil, mis en minorité, démissionne, les partisans de l'abandon triomphent. Et pourtant, le 4 avril 1885, la convention de Tien-Tsin est ratifiée à Paris par les Chinois. Elle nous confère l'administration directe du Tonkin province qui sera définitivement pacifiée en quelques années. Trois mois plus tard, l'un des principaux acteurs de cette affaire, l'Amiral Courbert surnommé « Le Chinois » meurt de maladie sur le cuirassé « Bayard ». Et Jules Ferry, réhabilité, devient « Le Tonkinois », sobriquet amical. Ces deux pesonnages, à l'origine de l'épilogue de cette affaire, ont largement, contre vents et marées, contribué à l'établissement au rayonnement, au prestige de la France dans cette partie du Monde.
Le colonel Chaudron - Le Journal de Saône et Loire - 29 Décembre 2004.
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