Quand la France donne à l'Indochine son administration, son économie et sa culture
L'Indochine donnée à la France par des explorateurs va être pacifiée, et organisée par des politiques, des diplomates, des administrateurs.
Nous sommes ainsi, en cette fin du 19e siècle, implantés dans un royaume le Cambodge et trois provinces Cochinchine, Annam et Tonkin, avec lesquels nous créons en 1887, l'Union Indochinoise à laquelle se joindra, en 1893, le Laos petit royaume morcelé en huit provinces dirigées par des vassaux turbulents, et également en butte aux visées expansionnistes du Siam. Il est exploré par Auguste Pavie, consul à Luang Praband et ami du roi Oun Kham à qui il fera accepter un traité de protectorat garant de son intégrité territoriale.
Cet ensemble, appelé plus tard «la Perle de l'Empire», est à l'échelle asiatique relativement modeste: une fois et demie la France. Constitué par des dizaines de provinces, il est compartimenté par une hydrographie difficile, un relief confus et un énorme couvert forestier. De plus, il n'y a pas d'unité dans les composantes humaines; on ne dénombre pas moins d'une centaine de peuplades (annamites, tonkinois, chams, khmers, thaïs, laos, khas, moïs, muongs, nungs...) différenciées par la race, les religions et les modes de vies. Mais c'est l'Indochine donnée à la France par des explorateurs, des militaires, pacifiée, structurée, organisée par des politiques, des diplomates, des administrateurs.
- C'est une réalité politique avec une organisation administrative et sociale sur les quatre protectorat et la colonie cochinchinoise.
- C'est une réalité économique avec la construction de 30 000 kilomètres de routes, 3 400 kilomètres de voies ferrées, en particulier le chemin de fer trans-indochinois qui sera poussé jusqu'à Yunan Fou, en Chine. Le développement de la culture de l'hévéa, du café, du mûrier, celui des rizières qui fera du pays, pour la première fois un exportateur de riz. Puis c'est l'exploitation des mines de plombs, d'étain, de phosphates, de charbon et d'argent. Et sur le plan de la santé, la construction de centres de recherche, d'hôpitaux.
L'éradication de certaines maladies, tel le paludisme, profite aux populations.
- C'est une réalité culturelle avec le développement de l'éducation dans des écoles, des collèges, la création en 1918 de l'université indochinoise, l'envoi en France de jeunes autochtones boursiers de la République qui entre les deux guerres découvriront aussi l'esprit démocratique en participant à des mouvements quelque peu contestataires. C'est aussi le développement des arts avec la création de l'école d'Extrême-Orient et surtout l'interpénétration des cultures européennes et asiatiques.
Ce développement génère également des mœurs libérales avec l'émergence de syndicats et de partis politiques, en particulier le parti communiste qui formente des révoltes localisées, de mouvements nationalistes, de sectes (Caodaïstes, Hoa Hoa, Binh Xuyens), féodalités liées au tempérament asiatique. Mais c'est, néanmoins, un territoire relativement calme au sein du volcan asiatique dominé par la Chine et le Japon. C'est donc une colonie en paix qui va subir l'orage de 1940, un orage qui voit la défaite de la France en Europe. Et, sur place, le général Catroux, gouverneur général, malgré les appels du Général De Gaulle hésite à faire sécession avec la Métropole car il pense que le puissant Japon, allié de l'Allemagne, ne le tolérerait pas. Il va donc rejoindre seul la France libre et Vichy le remplacera par l'Amiral Decoux qui va devoir composer avec le Japon.
Ce Japon, depuis 1910, exerce un protectorat sur la Corée. Il occupe en 1931 la Mandchourie partie nord-est de la Chine ave laquelle il est en guerre depuis 1936. Il rêve de dominer une «grande Asie» et dès 1940 il affiche ses velléités d'expansion vers le sud: la Malaisie, Singapour, l'Indonésie. Pour y accéder, l'itinéraire logique passe par l'Indochine, base de départ idéale.
A ce moment, une puissante armée nippone victorieuse en Chine, appuyée par 200 avions modernes, est arrivée sur la frontière tonkinoise, et une importante flotte de guerre croise en baie d'Along. Sous cette menace militaire doublée d'une pression diplomatique, les Japonais demandent à l'Amiral Decroux d'importantes concessions en particulier le droit de passage de leurs troupes par la péninsule. Le gouvernement de Vichy consulte les Anglais et les Américains qui ne pouvant rien faire, lui conseillent de céder. C'est donc 6000 puis 25000 et enfin 75000 hommes qui débarquent dans toute la péninsule et prennent le contrôle des aérodromes du Tonkin, de Cochinchine et du Cambodge. Et, bien sûr, ils vont en sous-mains armer et soutenir des factions locales souhaitant notre éviction. De plus, le Siam profitant de nos difficultés revendique de nouveau des provinces cambodgiennes, et celle de Luang-Prabang au Laos. En janvier 1941, il ouvre les hostilités contre nous sur un front allant du Haut Mékong à la mer. Des troupes amenées en urgence du Tonkin boutent les envahisseurs hors des deux protectorats et des éléments de notre marine détruisent leur Flotte dans le Golfe du Siam. Mais les Japonais, concupiscents, imposent leur médiation qui débouche sur un traité signé à Tokyo accordant au Siam la province laotienne du Luang Prabang et pratiquement le quart du Cambodge. Comme prix de leurs bons offices, ils obtiennent le droit d'installer des aérodromes en Thaïlande.
Et en mars 1945, les Nippons adressent à l'Amiral Decoux, au prétexte d'un éventuel débarquement américain sur les côtes d'Annam, un ultimatum lui enjoignant de mettre toutes les troupes et la garde indochinoise sous leur commandement. Sans attendre de réponse, le 9 mars, ils passent à l'attaque de toutes nos garnisons, des quartiers européens. Ils arrêtent, emprisonnent ou assassinent tous les fonctionnaires français et autochtones. L'administration en place est totalement décapitée, la colonie livrée à l'anarchie. Au sud, les factions Caodaïstess, Hoa Hoa et Binh Xuyen font la loi et terrorisent les populations.
Au nord, Hô Chi Minh proclame la République du Vietnam, émanation du Viet-Minh communiste. Les rois du Cambodge et du Laos se déclarent indépendants.
Le 2 septembre 1945, après les bombardements nucléaires d'Hiroshima et Naghasaki, le Japon capitule. En application des dispositions de la conférence de Téhéran (11/43) où Roosvelt et Staline avaient décidé qu'après la victoire les administrations coloniales ne seraient pas rétablies en Asie et des accords complémentaires de Postdam (7/45), l'Indochine coupée en deux par le 16e parallèle est occupée, au nord par les Chinois, au sud par les Anglais chargés du désarmement des Japonais.
Bien entendu, le Général De Gaulle, chef du Gouvernement, ne l'entend pas ainsi. Il envoie le Général Leclerc et la 9e DIC reprendre possession de la colonie où nous sommes, juridiquement chez nous. Notre Corps expéditionnaire débarque en octobre à Saïgon; les Anglais se retirent. La Cochinchine, le Cambodge, le Laos, sont réoccupés. Avec les Chinois, et leurs troupes s'apparentant plutôt à des pirates qui mettent le pays en coupe réglée, c'est plus long. Après bien des tractations, des négociations, nous récupérons l'Annam en mars 1946 et le Tonkin en octobre. Mais là le mal est fait: le Vietminh dispose de 50 000 hommes (armés par les Japonais et des parachutages américains) répartis sur les trois Ky et soutenus par une population soumise à la loi du plus fort.
Le problème politique n'est pas simple entre la France qui souhaite maintenir la colonie et les protectorats dans un cadre fédéral français en leur accordant une autonomie interne, et le Vietminh qui veut obtenir l'indépendance immédiate du Vietnam.
Deux conférences sont organisées à Dalat et à Fontainebleau en juin 1946 où Hô Chi Minh est quasiment reçu comme un chef d'État. Elles débouchent sur un compromis, en fait c'est l'impasse. Alors, Hô Chi Minh, de retour à Hanoï se prépare à la guerre et le 19 décembre lance ses 50 000 hommes partisans dans l'attaque de toutes les garnisons françaises fortes de 15 000 hommes. Partout, c'est la même brutalité: assassinats, viols, tortures, enlèvements dans le plus pur style japonais. Malgré ce bain de sang, à l'aube, l'opération a échoué, nos troupes contrôlent toujours le terrain. Ho Chi Minh s'enfuit et entre dans la clandestinité.
Ce départ, cette rupture marquent en fait le début d'une guerre qui va durer jusqu'en 1954. Nos adversaires, à ce moment, sont des partisans communistes, nombreux au Tonkin, mais également présents en Annam et en Cochinchine où ils sont une quinzaine de mille, armés, parfois encadrés et instruits par des Japonais restés sur place. Leur armement provient d'achats auprès des troupes d'occupation chinoises et à Bangkok de matériels américains, allemands, chinois, soviétiques complété par l'artisanat local en particulier pour les mines. Hô Chi Minh, formé à l'école du Komintern, met en place jusque dans les villages les plus éloignés des milices paramilitaires et une organisation politico-administrative articulée en comités administratifs, exécutifs, politiques et de sécurité.
Ces éléments sont aussi chargés des assassinats de récalcitrants ou traîtres à la solde de l'impérialisme français.
Le colonel Chaudron - Le Journal de Saône et Loire - 30 Décembre 2004.
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