Note comparative sur l'influence des cultures chinoise et indienne sur le Vietnam
À travers plusieurs millénaires, la nation vietnamienne s'est formée par un double processus historique, brassage des populations
de souche austronégroïde et mongoloïde, assimilation des cultures extérieures. Concernant la seconde évolution, avant
l'implantation de la culture occidentale accentuée depuis la 2e moitié du XIXe siècle avec la colonisation française, l'influence
culturelle la plus profonde a été en premier lieu la Chine, et ensuite l'Inde.
Continuité et discontinuité
Pour commencer, remarquons que situé au cœur du Sud-Est asiatique, le Vietnam est un trait d'union entre les mondes chinois et
indien. Mais la proximité géographique et certaines conditions historiques ont assuré la continuité de l'influence chinoise, en
particulier sur le groupe ethnique majoritaire Viêt qui compte 86 % de la population. Le Vietnam né dans le bassin du fleuve Rouge
au premier millénaire avant J.C a été dominé par l'empire chinois pendant plus de 1.000 ans, jusqu'au Xe siècle ensuite une période
d'indépendance nationale de 900 ans durant lesquels la culture chinoise n'a pas cessé son influence, influence affaiblie par 80 ans
de colonisation française (1862-1945) et renouvelée depuis la Révolution de 1945. Cette influence continue s'est maintenue par des
contacts directs.
Par contre, l'influence de l'Inde non moins importante sous certains aspects, est discontinue et indirecte en grande partie. Les
premiers contacts indiens directs ont eu lieu aux environs de l'ère chrétienne grâce aux voyages de commerçants, qui grâce aux
meilleures techniques de navigation, s'aventurent dans le Sud-Est de l'Asie à la recherche de l'or et des épices. Comme ils y
séjournent pour attendre le retour avec la mousson du nord-est, ils ont du temps pour propager leur culture et surtout leur foi
brahmanique et bouddhique. C'est ainsi que se sont créés des États hindouisés (Founan,- Tchen-la,- Champa) dont une partie de la
population (Khmer, Cham) sera intégrée à la nation vietnamienne comme minorités ethniques. Des moines indiens sont venus
prêcher au Vietnam, à Luy Lâu (Dzâu), berceau du bouddhisme vietnamien : Kandény (Khâu Dà La) aux IIe, IIIe siècles, Vinitaruci
(Ty Ni Da Luu Chi), créateur de la première École Thiên (Zen) du Vietnam au VIe siècle. Par la suite, à cause des bouleversements
politiques de la région, ils ne sont plus venus au Vietnam,- comme les marchands indiens d'ailleurs,- et sont relayés par les moines
chinois venus par la voie terrestre. Il y a donc rupture de l'acculturation directe Inde - Vietnam. La reprise n'aura lieu qu'au XXe
siècle, dans la lutte commune contre le colonialisme, lutte couronnée par l'apparition de deux pays nouvellement indépendants liés
par des liens tiers-mondistes.
Il va sans dire que chez les peuples minoritaires tels que les Khmers et les Chams, originaires de pays hindouisés (Founan,
Thchela, Champa), l'indianisation s'est effectuée de manière directe jusqu'au moment de leur intégration à la nation vietnamienne.
Point n'est étonnant que dans la langue cham, relevant de la famille ethnolinguistique austronésienne, 10 à 20 % des mots
parviennent du pâli, et 10 à 20 % du sanscrit. L'écriture Khmère et l'écriture Cham relèvent de la même origine, l'ancienne écriture
Brahmi de l'Inde méridionale. Beaucoup de termes géographiques dans les régions du Sud Vietnam aujourd'hui, habités par ces
deux ethnies sont d'origine indienne. ils ont été par la suite sinisés (prononciation ou sens) avant d'être vietnamisés (prononciation).
Ainsi, le mot Viet (namien) Phan Rang est une déformation phonétique de Panduranya,- Dô Bàn est traduit du chinois pour désigner
Vijaya. Il se peut que le mot Khmer Mékong (Me = mère, grand,- Kong = fleuve) désigne le Gange ce qui montre l'impact direct de
l'Inde.
La langue Viêt (des Vietnamiens majoritaires) possède aussi des nombreux mots apportés directement de l'Inde par des marchands
et des missionnaires indiens pendant les premiers siècles de l'ère chrétienne. Mais la plupart d'entre eux proviennent du processus
de transformation : mot sanscrit ou pâli -- chinois (Hán) -- Viet (namien). Prenons l'exemple typique du mot bouddha qui est traduit
en Viet (namien) de deux manières : but (transcription phonétique directe du sanscrit) et phât (à travers un mot sino-vietnamien).
L'influence indienne est très visible dans les temples Cham et les pagodes khmères où voisinent les motifs brahmaniques et
bouddhiques: l'oiseau mythique Yarudu, des danseuses apsaras, et autres allusions mythologiques. Les danses et la littérature
indiennes, surtout le Ramayana, laissent des empreintes indélébiles.
Dans le domaine linguistique et artistique, l'influence de la culture indienne sur les Viet (namien) est moins profonde et bien moins
directe que chez les ethnies minoritaires Khmère et Cham. Cette influence s'est exercée en général de manière indirecte, par
osmose, grâce aux échanges entre les Cham, les Khmers et leurs autres compatriotes vietnamiens. Le cas de Huê est un exemple
d'interpénétration culturelle Viêt - Cham.
C'est dans le domaine de la religion, le bouddhisme, que l'Inde a exercé sur le peuple vietnamien l'influence la plus profonde et la
plus durable.
À travers l'histoire, l'influence indienne s'est distinguée par son caractère pacifique, grâce à ses marchands et ses missionnaires
sans ambition politique. Tel n'était pas le cas de l'empire chinois créé sur la base de la conquête militaire et de l'occupation
politique.
Par Huu Ngoc - Le Courrier du Vietnam - 27 Juillet 2003
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