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Eric Huynh, un Français qui rêve de nager pour le Vietnam


Français d'origine vietnamienne, Eric Huynh espère obtenir une dérogation pour défendre les couleurs du Vietnam - qui refuse de lui accorder la double nationalité - aux J.O. de Sydney en l'an 2000. Il raconte sa démarche et son envie de retrouver ses racines.

PARIS - 'Je ne me suis jamais dit: 'Et si cela ne marche pas?' Je pense toujours que cela va marcher. Quand je suis dans l'eau, je ne rêve que de ça.' Eric Huynh, trente et un ans, Français d'origine vietnamienne (par son père), né à Gennevilliers et directeur de l'ANPE de Saint-Ouen, pourrait bien entrer dans l'histoire. Le sportif - 50 mètres nage libre - compte devenir le premier Franco-Vietnamien officiel (le Vietnam n'accorde ni ne tolère la double nationalité) et défendre ainsi les couleurs du pays de ses racines lors des jeux Olympiques de Sydney en l'an 2000. 'Le moment est bien choisi, explique-t-il. Ça se fera un jour et il n'est pas ridicule de penser que cela se fasse maintenant.' Mais rêve et diplomatie ne font pas forcément bon ménage.

Eric débute la natation à l'âge de sept ans, 'par un hasard complet. On habitait à côté de la piscine et mon père voulait que je pratique un sport'. Jusqu'à sa majorité, il s'entraîne au CS Clichy 92, 350e club français lorsqu'il intègre, aujourd'hui l'une des meilleures formations européennes et encore 2e au championnat inter-clubs cette année. Les entraînements professionnels, l'avènement de champions au CS Clichy créent l'émulation. La natation devient sa passion. Une passion que des études d'ingénieur à Grenoble vont mettre entre parenthèses. En 1993, il sera quand même sacré champion de France des Grandes écoles. Aussitôt enfilé, le maillot est rangé au placard. Puis, un jour de 1996, un reportage diffusé sur Arte agit comme un véritable 'catalyseur'.

Le documentaire raconte l'histoire de John Dagbovi-Senakwami, lui aussi nageur sur 50 mètres nage libre, qui récupère la nationalité togolaise afin de participer aux J.O. d'Atlanta. A vingt-neuf ans - 'l'âge de la mise en bière pour un nageur', plaisante-t-il -, l'idée du Togolais réveille le démon du bassin chez Eric. Sachant 'que d'un point de vue français, (je) ne représente rien du tout' en terme sportif, il se met en tête d'obtenir la nationalité vietnamienne pour relever le défi.

A l'époque du film, Eric éprouve surtout une certaine nostalgie du pays et regrette de ne pouvoir s'y rendre à sa convenance. Pourtant, le Vietnam, il connaît peu. Trois mois après son titre de champion de France, il passe cinq semaines là-bas, dont une partie à Saigon, en compagnie de deux soeurs et une cousine. C'est la première (et la dernière fois à ce jour) qu'il pose le pied sur le sol où réside encore sa tante et les enfants de celle-ci. Il y a cinq ou six ans, chaque fois que le mal du pays resurgissait, 'je demandais à mon père comment il avait vécu (1), comment il avait réussi à concilier ses brillantes études alors qu'il était gardien de buffles. Ses réponses me suffisaient. Même mon voyage en 1993 n'a pas appelé tant de questions que ça.'

Sa volonté de participer aux J.O de Sydney va dès lors se heurter à l'inflexible droit vietnamien. En pratique, certains possèdent deux passeports. Il lui faudrait pour cela renoncer à la nationalité française ou frauder, ce dont il n'est évidemment pas question. Si ses premières motivations se limitent à l'aspect sportif et au voyage (l'obtention d'un visa prend plusieurs semaines, ce qui l'avait empêché d'assister à l'enterrement de ses grands-parents), la recherche de la double nationalité l'amène à découvrir 'un pan de (sa) vie qu'(il) avait occulté, ignoré'. Il se rapproche de l'Association des Vietnamiens de l'étranger et les discussions le conduisent 'à s'approprier les manques des gens, que je n'avais moi-même pas ressentis aussi fort. Les gens m'ont renvoyé à la figure des questions que je n'évoquais pas forcément avec mon père, sur des positionnements politiques, par exemple. Peut-être manquais-je de curiosité'.

Ambassadeur de bonne volonté

'J'ai ressenti, poursuit-il, une frustration par rapport à cette moitié de culture, que je ne vis pas par procuration puisque j'ai toujours baigné dans un environnement bi-culturel, mais il y a eu un appel fort de cette partie de moi qui vient du Vietnam. On sent qu'il me manque une partie de mes racines.' Cette 'découverte' de soi génère encore quelques frustrations 'en (me) posant des questions que je ne me posais pas avant' mais va également 'lui ouvrir l'esprit sur la façon de vivre des Asiatiques. J'ai mis le doigt sur une richesse. Les théories bouddhistes par exemple. La religion vietnamienne, c'est le Bouddha du futur, toujours représenté assis, rigolard, bon vivant. Je préfère cette image-là plutôt que ceux qui se prosternent devant un Christ crucifié'.

Invité en octobre prochain par l'Association des Vietnamiens de l'étranger à participer aux championnats du Vietnam à Hanoï, il s'y rendra 'en vue de battre tous les Vietnamiens'. Depuis deux ans, Eric Huynh a réintégré le CS Clichy. Dix heures d'entraînement par semaine. 'Il va falloir que ça augmente, indique-t-il, mais je progresse assez rapidement.'

L'année dernière, il s'est distingué comme le meilleur Français, à Prague, lors des championnats d'Europe vétéran dans la tranche 30-34 ans. Son meilleur chrono récent (25''85) tutoie le record du Vietnam (25''86). Plus que sportif, le problème demeure diplomatique. Eric peut en outre s'appuyer sur une note de septembre 1997 du premier ministre Thu Tuong encourageant les Vietnamiens de la diaspora (les Viet Kieu) à aider le Vietnam en intégrant les équipes sportives nationales. Une note restée lettre morte. Eric a déjà présenté deux fois son dossier auprès de l'ambassadeur du Vietnam en France, qui ne l'a jamais reçu personnellement. Aucune réponse. A sa connaissance, personne n'a jamais reçu de dérogation comme celle qu'il réclame.

Fort du soutien de la fédération française de natation, il n'estime pourtant ses chances qu'à 'une sur cinq'. 'La limite, c'est juin 2000 (Sydney se tient en juillet, NDLR). Si cela marche, je ne souhaite pas que cela s'arrête en 2000. J'aimerais faire la promotion du Vietnam, comme gage d'ouverture, des changements qui se mettent en place. J'aurais les moyens de me mettre au service du pays, d'être une sorte d'ambassadeur de bonne volonté, d'interlocuteur avec les associations antigouvernementales (qui ne le soutiennent pas, NDLR). Je suis en mesure d'apporter quelque chose au Vietnam.'
(1) Son père est arrivé en France en 1951 et a renoncé en 1972 à la nationalité vietnamienne.

Par Dominique Shatenoy - L'HUMANITE, le 15 Août 1998.

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