A Phnom Penh, le culte de saint Victor Hugo, grand esprit caodaïste
PHNOM PENH - La France vient juste de lancer
commémorations et hommages pour le bicentenaire de sa naissance,
mais à Phnom Penh, "saint" Victor Hugo, avec barbe blanche et
bicorne d'académicien, est révéré chaque année par quelque 400
fidèles, dans le petit temple coloré d'une secte d'origine vietnamienne.
Au "grand poète français reconnu par sa propre révélation comme un
des esprits de la Loge blanche sous le nom de Nguyêt-Tàm
Chônh-Nohn" - selon la plaque de cuivre trilingue (vietnamien, chinois,
français) apposée à l'entrée - le culte caodaïste offre la fraîcheur d'un jardin dallé et
verdoyant, protégé des regards et du tumulte de la rue.
Dô Vàn Nàm, le prêtre du lieu, a revêtu bonnet noir et tunique blanche avant de s'incliner
devant l'effigie peinte où Victor Hugo, alias "Lune - Coeur - Homme authentique", figure aux
côtés des deux autres "missionnaires divins envoyés comme guides spirituels de l'Humanité
pour réaliser la Troisième Alliance" : le révolutionnaire et homme d'Etat chinois Sun Yat Sen
(1866-1925) et le poète vietnamien Nguyên Binh Khiêm (1492-1587).
Bien qu'inspirée majoritairement par le bouddhisme du Grand Véhicule et la pensée de
Lao-Tseu, mêlés de confucianisme et de taoïsme, la secte, fondée en 1926, a partiellement
calqué sa hiérarchie sur celle de l'Eglise catholique, et Jésus, Mahomet ou Moïse y occupent
aussi dans la liturgie une place importante, en tant que messagers divins.
Le caodaïsme divise l'Histoire en trois périodes: si les deux premières ont vu se perdre en
partie la révélation divine, en raison de la fragilité des hommes, la naissance de la secte, ou
"Troisième Alliance", est censée permettre, grâce à une communication médiumnique avec
des esprits supérieurs, l'avènement d'une vérité céleste.
Avant 1970, et le déclenchement de la guerre qui allait ravager le Cambodge pendant près
de 30 ans, l'"esprit" Victor Hugo, en raison de son apparition fréquente aux disciples de
Phnom Penh, avait été sacré saint en chef des missions caodaïstes à l'étranger.
Aujourd'hui, à nouveau vénéré par une soixantaine de fidèles, au rythme des quatre offices
quotidiens de la liturgie, Nguyêt-Tàm Chônh-Nohn peut attirer, le jour de sa fête (22 mai
dans le calendrier caodaïste) près de 400 personnes, essentiellement d'origine vietnamienne.
Ancien militaire de l'armée sud-viêtnamienne, Dô Vàn Nàm est devenu caodaïste à l'âge de
18 ans, et n'est arrivé au Cambdoge qu'en 1992.
"Victor Hugo, Sun Yat Sen et Nguyên Binh Khiêm sont devenus des esprits importants,
parce qu'ils ont promis devant Dieu d'apporter amour et bonheur aux êtres humains qui
souffrent, sans se soucier des nationalités", explique-t-il.
Leur portrait du vestibule est une réplique miniature de la fresque qui orne le grand
sanctuaire de Tay Ninh, dans le sud du Vietnam, berceau de la secte.
Mais dans le pays voisin, qui compte encore près de trois millions de fidèles, Victor Hugo a
perdu son statut de saint dans la plupart des temples. Shakespeare, qui avec Jeanne d'Arc,
Descartes, Pasteur, ou Lénine, figurait aussi au panthéon des esprits caodaïstes occidentaux,
avait connu le même sort après les années 30.
Au Cambodge, il n'en est rien, et à l'appui de sa ferveur hugolienne, Dô Vàn Nàm désigne, à
la page 61 d'un livre liturgique dactylographié, et en français dans le texte, une brève citation
du grand homme : "Qu'est ce que la noblesse, la richesse, la gloire ?"
S'il semble tout à fait indifférent au bicentenaire célébré dans la terre natale du poète, le
prêtre voudrait bien recueillir pour son temple quelques saints écrits supplémentaires,
d'autant qu'il le sait, ils sont nombreux.
Poèmes, pamphlets, romans, ou pièces de théâtre, peu lui importe, du moment que c'est en
anglais, précise-t-il humblement, inconscient du sacrilège.
Agence France Presse, le 8 Mars 2002.
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