Huê 2000 : un festival franco-vietnamien
HUE - Rien ne pourrait être plus stimulant pour le Vietnam que le festival qui a réuni à Huê, à
partir du 8 avril, des artistes venus de l'ensemble du pays et de France. Dans l'ancienne
capitale impériale, un public essentiellement vietnamien a redécouvert les musiques et
les danses de la cour ou celles des provinces. Il s'est également frotté, avec curiosité,
aux expressions modernes de la culture française, de la troisième version du Triton
fourmillant d'idées de Philippe Decoufflé à la Danse du temps de Régine Chopinot en
passant par C'est pour toi que je fais ça !, spectacle du Cirque désaccordé de Guy
Alloucherie. En tout, cent vingt-cinq artistes français durant dix jours et six cents
participants à la très populaire cérémonie d'ouverture.
C'était une première qui ressemblait fort à un pari ( Le Monde du 1er janvier). Séduire
les spectateurs, sans parler des autorités
locales, tout en bousculant un peu les
esprits, indiquer des pistes, des idées à
saisir. Et montrer au passage que le
tourisme culturel, dont Huê est le
porte-flambeau au Vietnam, est affaire de
professionnels et non d'amateurs et qu'en
la matière, le plus payant reste « l'exigence
artistique », selon la formule de Jean
Blaise, commissaire français du festival
Huê 2000.
Dans le registre « nouveautés », le défilé des modèles de la Saïgonnaise Minh Hanh a
sans doute été le plus concluant. Bénéficiant d'un espace de liberté élargi depuis le
milieu des années 90, le public vietnamien a eu tendance à confondre nouveau et beau.
L' ao dài, la tunique vietnamienne classique, se coupe aujourd'hui dans le Nylon, affiche
des motifs sans grâce et des couleurs clinquantes. On pourrait en dire autant de la
construction moderne, avec ses fioritures importées qui accablent un paysage
romantique dominé par le mariage séculaire entre l'homme, la nature et l'eau. La foule
qui affluait dans le palais de la Reine Mère, récemment restauré, a redécouvert les
beautés de l' ao dài.
En douceur, les tons de Minh Hanh s'enchaînent et habillent des corps fins, longilignes
et sans épaules. Même s'ils ont été parfois déconcertés par les suggestions des ao dài
d'une couturière déjà reconnue à l'étranger, les Vietnamiens ont saisi la beauté du
spectacle ainsi offert sur une musique de Phong Lan qui exprime autrement les
richesses des instruments.
Ville martyre
« L'art de vivre », tel a été le thème retenu par les organisateurs, parce que, située au
centre du Vietnam, à mi-chemin entre la frontière chinoise et le golfe de Thaïlande, Huê
est une cité qui a abrité, à partir du début du XIXe siècle, la dernière dynastie impériale
du pays. Au coeur d'une région pauvre, cette ville un peu repliée sur elle-même, sans
industries, avec ses lycées et facultés, a souffert. Privée de son statut de capitale dès
le lendemain de la seconde guerre mondiale, elle a été en partie détruite au cours des
combats de la fin des années 40 et il n'en restait plus grand-chose quand, en 1968,
après l'avoir copieusement bombardée, les troupes américaines et sud-vietnamiennes
l'ont reprise aux Vietcongs.
Mais son inscription au Patrimoine mondial, de gros efforts de restauration et, souvent,
de reconstruction de la citadelle, l'aménagement des berges de la rivière des Parfums
et l'émergence d'un premier secteur hôtelier lui ont redonné éclat et vie. Une fois admise
l'idée d'un premier festival, le comité populaire de la province, celle de Thua Thiên, a mis
les bouchées doubles pour accueillir plus de vingt mille personnes, sans compter le
public local : allongement de la piste d'aviation pour accueillir des Airbus 300, réfection
de la route de l'aéroport, couches de peinture sur les bâtiments publics, accélération
des travaux de restauration. Les Huéens ont suivi : fleurs, plantes, oriflammes,
banderoles, lampions, décoration des terrasses, expositions de peintures, artisanat,
manifestations organisées par l'industrie hôtelière. Une sorte de festival off a contribué à
animer la ville, à faire que « la vie commence », selon l'expression d'une jeune
francophone.
Cet engouement, même tardif, est d'autant plus remarquable qu'en novembre 1999 la
région a subi des inondations exceptionnelles et meurtrières. La rivière des Parfums
avait débordé et Huê s'est retrouvée sous plus d'un mètre d'eau. Plusieurs ponts qui la
relient au grand port de Da Nang ont été emportés. Dans la région, on a compté sept
cents morts et des dizaines de milliers d'habitations détruites. Les dégâts ont été
évalués à environ 2 milliards de francs. Mais, devant l'adversité, les Vietnamiens
retrouvent leur caractère : les secours ont été, de l'avis général, rapides et efficaces et,
comme l'a dit sur le moment un paysan de la province proche du Quang Nam, « vous
pouvez perdre votre toit, votre bétail, votre récolte de riz. Mais, si vous survivez, vous
pouvez redémarrer ».
Cerfs-volants
A l'approche du festival, les habitants ont été invités à toiletter leur ville. Le thème de
« L'art de vivre », accepté d'emblée par les organisateurs vietnamiens, incluait la mise
en valeur de jardins et de potagers, des lancers de cerfs-volants près de la porte
principale de la Cité interdite, ou des courses de sampans sur la rivière des Parfums.
L'idée était de mettre en valeur le potentiel esthétique de l'ancienne cité impériale, dont
les rues tranquilles et ombragées s'alignent le long de potagers en terrasses et des
pièces d'eau où l'on cultive le liseron. Au fil des décennies, les traditions musicales ou
théâtrales, mais aussi culinaires, issues de la culture de la cour, s'étaient
« dégradées », selon la formule d'un organisateur français. On voulait en évoquer et en
retrouver le raffinement.
Le Vietnam en est encore souvent au stade du bricolage, de l'improvisation, lorsque l'on
se contente des apparences. Les partenaires français des festivaliers locaux ont donc
entendu faire passer le message, dans le long terme, de l'exigence artistique. « Au
départ, l'incompréhension culturelle a été totale. Puis, une fois les portes ouvertes, nos
partenaires vietnamiens sont venus nous remercier. Ils étaient heureux », a rapporté
l'un d'entre eux. Les spectacles, dont aucun n'a été censuré, ont affiché complet, et le
public a été à 90 % vietnamien. Entièrement contrôlée par l'Etat, la presse nationale n'a
été que louanges, reflétant ainsi l'approbation du régime et laissant espérer que les
premiers pas ainsi accomplis ne seront pas sans lendemain.
Par jean Claude Pomonti - Le Monde - le 18 Avril 2000.
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