~ Le Viêt Nam, aujourd'hui. ~
Le portail de l'actualité vietnamienne

[Année 1997]
[Année 1998]
[Année 1999]
[Année 2000]
[Année 2001]

Huê 2000 : un festival franco-vietnamien

HUE - Rien ne pourrait être plus stimulant pour le Vietnam que le festival qui a réuni à Huê, à partir du 8 avril, des artistes venus de l'ensemble du pays et de France. Dans l'ancienne capitale impériale, un public essentiellement vietnamien a redécouvert les musiques et les danses de la cour ou celles des provinces. Il s'est également frotté, avec curiosité, aux expressions modernes de la culture française, de la troisième version du Triton fourmillant d'idées de Philippe Decoufflé à la Danse du temps de Régine Chopinot en passant par C'est pour toi que je fais ça !, spectacle du Cirque désaccordé de Guy Alloucherie. En tout, cent vingt-cinq artistes français durant dix jours et six cents participants à la très populaire cérémonie d'ouverture.

C'était une première qui ressemblait fort à un pari ( Le Monde du 1er janvier). Séduire les spectateurs, sans parler des autorités locales, tout en bousculant un peu les esprits, indiquer des pistes, des idées à saisir. Et montrer au passage que le tourisme culturel, dont Huê est le porte-flambeau au Vietnam, est affaire de professionnels et non d'amateurs et qu'en la matière, le plus payant reste « l'exigence artistique », selon la formule de Jean Blaise, commissaire français du festival Huê 2000.

Dans le registre « nouveautés », le défilé des modèles de la Saïgonnaise Minh Hanh a sans doute été le plus concluant. Bénéficiant d'un espace de liberté élargi depuis le milieu des années 90, le public vietnamien a eu tendance à confondre nouveau et beau. L' ao dài, la tunique vietnamienne classique, se coupe aujourd'hui dans le Nylon, affiche des motifs sans grâce et des couleurs clinquantes. On pourrait en dire autant de la construction moderne, avec ses fioritures importées qui accablent un paysage romantique dominé par le mariage séculaire entre l'homme, la nature et l'eau. La foule qui affluait dans le palais de la Reine Mère, récemment restauré, a redécouvert les beautés de l' ao dài. En douceur, les tons de Minh Hanh s'enchaînent et habillent des corps fins, longilignes et sans épaules. Même s'ils ont été parfois déconcertés par les suggestions des ao dài d'une couturière déjà reconnue à l'étranger, les Vietnamiens ont saisi la beauté du spectacle ainsi offert sur une musique de Phong Lan qui exprime autrement les richesses des instruments.

Ville martyre

« L'art de vivre », tel a été le thème retenu par les organisateurs, parce que, située au centre du Vietnam, à mi-chemin entre la frontière chinoise et le golfe de Thaïlande, Huê est une cité qui a abrité, à partir du début du XIXe siècle, la dernière dynastie impériale du pays. Au coeur d'une région pauvre, cette ville un peu repliée sur elle-même, sans industries, avec ses lycées et facultés, a souffert. Privée de son statut de capitale dès le lendemain de la seconde guerre mondiale, elle a été en partie détruite au cours des combats de la fin des années 40 et il n'en restait plus grand-chose quand, en 1968, après l'avoir copieusement bombardée, les troupes américaines et sud-vietnamiennes l'ont reprise aux Vietcongs.

Mais son inscription au Patrimoine mondial, de gros efforts de restauration et, souvent, de reconstruction de la citadelle, l'aménagement des berges de la rivière des Parfums et l'émergence d'un premier secteur hôtelier lui ont redonné éclat et vie. Une fois admise l'idée d'un premier festival, le comité populaire de la province, celle de Thua Thiên, a mis les bouchées doubles pour accueillir plus de vingt mille personnes, sans compter le public local : allongement de la piste d'aviation pour accueillir des Airbus 300, réfection de la route de l'aéroport, couches de peinture sur les bâtiments publics, accélération des travaux de restauration. Les Huéens ont suivi : fleurs, plantes, oriflammes, banderoles, lampions, décoration des terrasses, expositions de peintures, artisanat, manifestations organisées par l'industrie hôtelière. Une sorte de festival off a contribué à animer la ville, à faire que « la vie commence », selon l'expression d'une jeune francophone.

Cet engouement, même tardif, est d'autant plus remarquable qu'en novembre 1999 la région a subi des inondations exceptionnelles et meurtrières. La rivière des Parfums avait débordé et Huê s'est retrouvée sous plus d'un mètre d'eau. Plusieurs ponts qui la relient au grand port de Da Nang ont été emportés. Dans la région, on a compté sept cents morts et des dizaines de milliers d'habitations détruites. Les dégâts ont été évalués à environ 2 milliards de francs. Mais, devant l'adversité, les Vietnamiens retrouvent leur caractère : les secours ont été, de l'avis général, rapides et efficaces et, comme l'a dit sur le moment un paysan de la province proche du Quang Nam, « vous pouvez perdre votre toit, votre bétail, votre récolte de riz. Mais, si vous survivez, vous pouvez redémarrer ».

Cerfs-volants

A l'approche du festival, les habitants ont été invités à toiletter leur ville. Le thème de « L'art de vivre », accepté d'emblée par les organisateurs vietnamiens, incluait la mise en valeur de jardins et de potagers, des lancers de cerfs-volants près de la porte principale de la Cité interdite, ou des courses de sampans sur la rivière des Parfums. L'idée était de mettre en valeur le potentiel esthétique de l'ancienne cité impériale, dont les rues tranquilles et ombragées s'alignent le long de potagers en terrasses et des pièces d'eau où l'on cultive le liseron. Au fil des décennies, les traditions musicales ou théâtrales, mais aussi culinaires, issues de la culture de la cour, s'étaient « dégradées », selon la formule d'un organisateur français. On voulait en évoquer et en retrouver le raffinement.

Le Vietnam en est encore souvent au stade du bricolage, de l'improvisation, lorsque l'on se contente des apparences. Les partenaires français des festivaliers locaux ont donc entendu faire passer le message, dans le long terme, de l'exigence artistique. « Au départ, l'incompréhension culturelle a été totale. Puis, une fois les portes ouvertes, nos partenaires vietnamiens sont venus nous remercier. Ils étaient heureux », a rapporté l'un d'entre eux. Les spectacles, dont aucun n'a été censuré, ont affiché complet, et le public a été à 90 % vietnamien. Entièrement contrôlée par l'Etat, la presse nationale n'a été que louanges, reflétant ainsi l'approbation du régime et laissant espérer que les premiers pas ainsi accomplis ne seront pas sans lendemain.

Par jean Claude Pomonti - Le Monde - le 18 Avril 2000.