Le dialogue Hanoi-Washington passe désormais aussi par les militaires
Le dialogue entre Hanoi et Washington, jusqu'ici
centré sur leurs relations commerciales pour
panser les blessures de la guerre, entre
aujourd'hui dans une ère nouvelle avec un
rapprochement, impensable il y a peu, de leurs
armées respectives.
Soucieux de regarder vers l'avenir, les anciens
ennemis laissent semble-t-il libre court au
pragmatisme en dépit de résistances de part et
d'autres.
Jeudi, Hanoi a confirmé que le Secrétaire d'Etat
américain à la Défense Donald Rumsfeld avait
invité son homologue Pham Van Tra à se rendre
aux Etats-Unis.
"Si cette visite a lieu, elle sera la première d'un
ministre de la Défense vietnamien aux
Etats-Unis" depuis 1975, a relevé Le Dung,
porte-parole du ministère des Affaires
étrangères.
Cet automne, un navire de guerre américain
devrait mouiller dans le port de Ho Chi Minh-Ville,
l'ex-Saïgon d'où les derniers GI's avaient fui le
30 avril 1975, au dernier jour de leur débacle.
"Toute tentative visant à limiter nos relations
aux liens économiques sera vouée à l'échec. Le
renforcement des liens culturels, humanitaires,
militaires et juridiques aura un rôle", a indiqué
l'ambassadeur américain à Hanoi Raymond
Burghardt.
"Nos histoires ont été écrites autour de
problèmes plus larges que le commerce et la
croissance économique et continueront de
l'être", a-t-il ajouté.
Dans le dossier éminemment sensible des MIAs
(Missing in action), ces soldats américains
disparus au Vietnam, les progrès sont tout aussi
notables.
Les vétérans des deux pays échangent
régulièrement des informations pour retrouver
quelques uns des 1.900 soldats américains et
300.000 Vietnamiens jamais retrouvés après le
conflit.
Et Hanoi vient de créer une équipe chargée
d'étudier les textes classés du ministère de la
Défense, dans l'espoir de trouver des
informations nouvelles sur les MIAs.
"Les hiérarchies militaires commencent à
réchauffer leurs relations après des années très
dures. Personne ne peut dire que c'est facile.
Mais ce qui a été accompli sur les MIAs, par
exemple, témoigne d'un haut niveau de
coopération", reconnait Tony Foster, président
de la chambre de commerce américaine à Hanoi.
Les uniformes poursuivent aujourd'hui le travail
entamé par les costumes-cravates. Car la nature
des relations entre Hanoi et Washington a
changé depuis la signature en juin 2000 de leur
Accord commercial bilatéral.
Pour Tony Foster, le dialogue repose sur "une
succession de pas en avant", initiée en 1994 par
la levée de l'embargo américain sur le Vietnam
puis en 1995 avec le rétablissement de leurs
relations diplomatiques.
"L'idée majeure, manifestement, c'est de faire
du business", estime un diplomate européen.
Mais les enjeux vont au delà. "Le Vietnam a
compris la nécessité de traiter avec les premiers
de la classe. C'est un choix pragmatique. Or, les
deux modèles qui marchent aujourd'hui dans le
monde, ce sont les Etats-Unis et la Chine",
ajoute-t-il.
Certes, une partie du Congrès américain se
cantonne dans une critique virulente de Hanoi.
Et la frange la plus conservatrice du Parti
communiste vietnamien (PCV) craint toujours les
visées "impérialistes" des Etats-Unis et l'a fait
savoir sur le dossier irakien.
"Si Tra va aux Etats-Unis, c'est que le lobby
anti-américain à Hanoi n'est pas si fort que ça",
note pourtant un observateur.
Selon un général vietnamien présent lors de la
prise de Saigon en 1975, la visite de Tra à
Washington constituera "un calcul stratégique
du Vietnam sur le plan militaire".
A terme, le Vietnam a beaucoup à y gagner,
estime-t-il. "L'armée vietnamienne doit être
modernisée. Sinon elle sera en retard par
rapport aux autres forces de la région dans les
années à venir".
Par Didier Lauras - Agence France Presse - 28 Septembre 2003.
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