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Qui a peur de Graham Greene ?

L'adaptation du roman de l'espion et écrivain britannique est restée deux ans dans un placard américain.

Le spectre de Graham Greene continue à irriter les Américains. Des archives du FBI et de la CIA, ouvertes au public, montrent à quel point les faits et gestes de l'auteur britannique ont fait l'objet, toute sa vie, de télégrammes confidentiels entre Londres et Washington. Les Américains se méfiaient comme de la peste de cet ancien espion de Sa Majesté devenu l'un des écrivains les plus influents du siècle. Greene servit dans les services de contre-espionnage britannique MI6 durant la deuxième guerre mondiale. Le gouvernement américain a espionné Greene pendant plus de quarante ans, s'intéressant de près à ses activités en Amérique latine, à Cuba, au Panama, Guatemala et Nicaragua, quand il officiait, dans les années 70, comme «porte-parole officieux» de Fidel Castro, Daniel Ortega et du général socialiste Omar Torrijos.

Surveillance. Lorsqu'il fut soudain interdit de séjour aux Etats-Unis en raison de son affiliation au parti communiste, son courrier fut systématiquement intercepté par les services de renseignements américains. En 1983, lors d'une rencontre entre Greene, Castro et Garcia Marquez, un diplomate américain écrit dans un télégramme confidentiel intitulé Quelle chance d'avoir un ami écrivain que «le petit groupe d'amis a discuté jusqu'à 5 heures du matin. Gabriel Garcia Marquez est très actif en ce moment et essaie de présenter Castro aux intellectuels de passage. Cela permet à Castro de gagner en respectabilité et de passer de meilleures soirées que s'il avait à rencontrer d'obscurs chefs du front de Libération.»

Aujourd'hui encore, Greene demeure sulfureux. Le film de Philip Noyce, adapté d'Un Américain bien tranquille, écrit en 1955, a ainsi passé près de deux ans dans un placard chez Miramax avant de sortir sur les écrans et d'y faire un flop. Michael Caine interprète le rôle de Thomas Fowler, correspondant du Times à Saigon au début des années 50, au moment où le Vietnam se trouve à un tournant : la France a du mal à y contenir la montée en puissance des communistes d'Ho Chi Minh tandis que les Etats-Unis commencent à s'intéresser à ce bout d'Indochine.

Omniscience. Si le film de Noyce fait pâle figure comparé à l'adaptation qu'en fit Joseph Mankiewicz en 1958, le sujet en demeure toujours aussi fort aujourd'hui qu'avant la chute de Dien Bien Phu. Car le génie de Graham Greene fut, dès 1955, de pressentir l'immense danger d'une intervention américaine au Vietnam. Beaucoup d'observateurs, depuis la fin des années 60, se sont demandé comment l'histoire aurait tourné si, avant d'engager l'armée américaine dans ce bourbier, John F. Kennedy et Lyndon Johnson avaient lu le livre de Greene dès sa sortie et vu le film de Joseph Mankiewicz. Un Américain bien tranquille prouve l'omniscience de son auteur, observateur à la plume aussi incisive que visionnaire. Quant à George Bush et ses mésaventures irakiennes : pas de doute, il n'a pas lu Graham Greene...

Par Agnès Catherine Poirier - Libération - 20 Août 2003