Instants de grâce - Photographies et texte de Tim Page
Editions de la Martinière – Tim Page : Instants de grâce
(photographies et textes) – 240 pages – 138 photographies noir et
blanc et quadri.
Récit d'une vie engagée, témoin d'un
profond humanisme, Instants de grâce – par
le titre même de l'ouvrage – apparaît comme
une respiration, une halte passagère, une
pause nécessaire où l'espoir peut encore
effacer l'effroi. Tim Page, photo-reporter
dès l'âge de seize ans ayant travaillé pour
Time-Life et Paris Match, a passé sa vie à
couvrir les conflits en Asie, les guerres du
Vietnam et du Laos : "C'est un privilège de
grandir en temps de paix, un luxe de ne
pas vivre sous la menace constante de la
mort. La guerre acquiert une aura
d'héroïsme, voire de patriotisme et de
nationalisme ; elle se fonde sur une cause
légitime qui justifie toutes les souffrances
et tant de pertes". Les mots (maux) sont
justes car vécus. Accentués aussi par
l'image pour ne pas oublier ce qu'un être
humain inflige, de conflit en non-dialogue, à ses semblables. Une prise de conscience, le
temps d'un souffle, qui mène à cet instant si fragile de lucidité où tout peut encore basculer.
La vie dérive et reprend, lentement, son cours en l'attente – parfois illusoire - d'une
délivrance. Les hommes ont les mains tendus vers la terre – contaminée mais à l'origine
nourricière. Un paradoxe qui les mène cependant à reconstruire : sur des failles, sur les
traces récentes d'une guerre en route vers un avenir souillé. Les mains jointes en guise de
prière, les yeux rivés au sol, pour implorer la paix. Si il y un dieu dans le ciel, peut-il
entendre ces plaintes craintives ? A en croire ce visage, lors d'un enterrement bouddhiste
au sud de Hue en 1999, la foi ne dérive pas mais rassemble. Et c'est là qu'elle garde sa
force : dans l'expression commune, dans cette volonté de vivre pour et avec les autres.
Malgré les menaces et les épreuves à franchir. Ce livre – traversée douloureuse car réelle
– n'est pas pessimiste. Bien au contraire, il montre en quoi civils et militaires tendent vers
une même logique : se livrer à visages découverts, corps et esprit liés, pour que ce "voyage
au bout de la nuit" reste le dernier.
Par Claire Gilly - Le Monde - le 20 Septembre 2001.
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