La Saison des goyaves" : retours en arrière dans la maison du Vietnam
Une vision critique des transformations du pays signée par Dang Nhat
Minh.
Film vietnamien de Dang Nhat Minh. Avec Bui Bai Binh, Nguyen Lan Huong,
Pham
Thu Thuy. (1 h 40.)
Hanoï, aujourd'hui. Un homme qui gagne sa vie comme modèle dans une
école
des beaux-arts rôde régulièrement autour d'une maison et de son jardin
au
centre duquel se trouve un goyavier. C'est Hoa, un cinquantenaire,
légèrement simple d'esprit, enfantin, serviable et plus sensible à la
beauté
des billets de banque qu'à leur valeur d'échange (dès le début du film,
il
perd les dollars de sa paie).
Il est un jour arrêté par la police après s'être introduit dans le
jardin.
Sa sœur, venue le chercher au poste, dévoile petit à petit les raisons
de
son comportement, donnant le point de départ d'une série de retours en
arrière. Enfants, ils ont habité cette demeure. Leur père était un
avocat,
qui a dû céder, d'abord un étage, puis toute la maison à l'Etat, dans le
cadre d'une réquisition. Elle est habitée désormais par un affairiste,
dont
la fille, étudiante, accueille Hoa, touchée par son histoire.
La nostalgie d'une vie paisible
Il y a plusieurs niveaux de lecture dans le film de Dang Nhat Minh,
figure
marquante du cinéma vietnamien, dont le film Nostalgie de la campagne,
en
1995, avait été considéré comme une œuvre-clé de l'évolution de la
production. Pour son personnage principal, le temps s'est arrêté à
l'enfance, à la suite d'un accident, lorsqu'il avait 12 ans. C'est donc
la
nostalgie d'une vie paisible, insouciante, faite de jeux, qu'exprime un
personnage qui, mentalement, a depuis refusé toute évolution.
Mais derrière le portrait d'Hoa se cache une vision critique des
transformations de la société vietnamienne. Aux exigences de l'Etat et
du
parti s'est substitué (en fait s'est ajouté) le règne de l'argent. La
métaphore de la maison et de ses changements de propriétaires est
limpide
et, il faut le dire, peu subtile. De l'avocat petit-bourgeois au parti,
puis
à l'affairiste et, enfin, apprend-on in fine, à une société anonyme, la
succession des différents habitants reflète le changement d'un univers
petit
à petit rongé par le mercantilisme.
Malgré l'anonymat de la mise en scène, La Saison des goyaves laisse
parfois
passer divers sentiments, dont celui d'une peur diffuse devant les
figures
d'une autorité redoutée (l'arrestation par la police du héros, surpris
dans
le jardin est très inquiétante). La folie rhétorique d'Hoa en dit plus
long
qu'on croit.
Par Jean-François Rauger - Le Monde - 16 Avril 2002
|