25 ans après, le général Giap se souvient de ses victoires de légende
HANOI - La démarche est un peu frêle mais la silhouette est à peine voûtée et, surtout, le geste
et la voix sont toujours fermes. A quatre-vingt- huit ans passés, en uniforme de général
de corps d'armée, cheveux blancs sur un front largement dégarni, le général Vo Nguyên
Giap a belle allure et se souvient du « moment le plus heureux d'une vie de lutte » : le
30 avril 1975, quand le « front » lui a rapporté que le général sudiste Duong Van Minh
avait donné à ses propres troupes l'ordre de se rendre, épargnant ainsi la destruction de
Saïgon. Les blindés venus du Nord ont occupé la cour du Palais de l'indépendance. La
guerre était pratiquement finie et la victoire acquise. « Nous étions libres. Sans
ennemis français, américains, japonais... Le 30 avril fut la première victoire totale d'une
colonie contre l'impérialisme. »
« Une victoire de légende », a-t-il ajouté, samedi 8 avril, devant des médias étrangers
qui avaient demandé à le rencontrer. Giap, qui se remémore sa première rencontre avec
Hô Chi Minh, en 1940 dans le sud de la Chine, n'oublie pas non plus qu'il a enseigné
l'histoire avant de rejoindre la résistance. Pendant mille ans de domination chinoise,
dit-il, « nous n'avons pas été assimilés » et, au bout du compte - ce fut au Xe siècle -,
« nous avons retrouvé notre indépendance ». « Puis, pendant mille ans, nous avons
combattu et gagné », poursuit-il, rappelant qu'au XIIIe siècle les armées mongoles ont
été refoulées à trois reprises.
Il y eut, pour clore ce chapitre, les deux guerres d'Indochine. « Contre les B-52, dit-il à
propos des forteresses volantes américaines qui lâchaient leurs lourdes bombes en
chapelets , ce fut la victoire de l'intelligence vietnamienne sur l'argent et la technologie
des Etats-Unis ». « Au bout du compte, précise-t-il , le facteur humain prime : il faut
comprendre les gens, leur histoire, leur culture. »
Voici des années que le vainqueur de Diên Bien Phu et de Saïgon, rebaptisée depuis
Hô Chi Minh-Ville, a quitté le devant de la scène. En 1982, il n'a pas été réélu au bureau
politique du Parti communiste et, neuf années plus tard, il a dû en quitter le comité
central. Depuis, il n'occupe plus de fonction officielle. Mais le vieil homme a déjà sa
place dans l'Histoire : il restera le grand stratège vietnamien du XXe siècle. Il vit entre sa
résidence à Hanoï et une maison de repos de l'armée à Haïphong, port de la capitale.
« Le Vietnam est un pays pauvre », dit-il. Les médias vietnamiens n'ont pas été invités
à écouter son exposé de plus de deux heures au cours duquel il s'est référé, de temps
à autre, à des notes.
L'homme a conclu en se déclarant « l'esprit en paix » avant de se diriger vers le perron
pour une photo de groupe, un rite auquel il semble tenir. Et, à l'occasion, il n'a pas
manqué d'énoncer : « Les Vietnamiens sont un peuple pacifique mais nous avons été
contraints de combattre. »
Par Jean Claude Pomonti _ Le Monde, le 10 Avril 2000.
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