La Francophonie en Asie du Sud-Est
En Asie du Sud-Est francophone se pose la double question du renforcement de la francophonie et du multilinguisme au seuil du troisième millénaire, mais ce, de façon plus urgente qu'ailleurs, du fait de la faiblesse de l'une et de l'autre.
Nous avons souligné que dans la sphère économique, la création d'unions économiques a été un réel facteur d'équilibre. Mais il faut aussi assurer la diversité dans la sphère culturelle alors que l'uniformisation s'accentue sous les effets conjugués de la nouvelle économie, d'Internet et des mégafusions d'entreprises. Et ce sont les communautés interculturelles et linguistiques, telle la Francophonie, à condition d'être organisées, qui apportent la réponse en constituant des pôles de diversité culturelle.
Il est regrettable que cette prise de conscience de ce que peut apporter la Francophonie ne soit pas encore bien comprise par tous, non seulement dans les trois pays francophones de l'Asie du Sud-Est (Cambodge, Laos et Vietnam) mais aussi dans le monde et en France en particulier. Evidemment, sans projets de coopération sur différents domaines (éducatif, économique, scientifique, technique...), la Francophonie perd sa vitalité. Les trois pays de l'Asie du Sud-Est francophone en ont pris conscience et ont toujours voulu que la Francophonie se dote de projets ambitieux. Cependant, la Francophonie ne peut pas être appréhendée par les seuls critères du "recevoir". Elle est aussi une porte d'ouverture à une autre logique, à une autre réalité à laquelle les trois peuples adhèrent : celle de la mondialisation humaniste et multipolaire.
En Asie du Sud-Est, beaucoup confondent encore le multilatéral francophone avec le bilatéral français. L'idée francophone reste floue. Généralement, l'image de la francophonie est liée seulement à la promotion de la langue française. Cette image n'est pas toujours favorable au bien-fondé de la Francophonie car elle tombe facilement sous le coup des vieux clichés d'une nostalgie de l'ancien Empire français. Pour remédier à ce danger de jugement, il faut que les principes de dialogue des cultures et de solidarité qui fondent la Francophonie moderne, soient plus accessibles aux mass médias, que sa voix soit plus proche des jeunes à travers ses idées, ses projets et réalisations. Il faut aussi que l'espace francophone soit ouvert à plus d'échanges entre les pays membres, pas seulement Nord-Sud mais tout autant Sud-Sud.
Relance du français dans le cadre du multilinguisme
Tout le monde sait que le support de la Francophonie est la langue française. La décolonisation appartient au passé. La langue française qui fut l'instrument d'une colonisation, puis, au centre du combat contre la métropole, est devenue l'instrument d'une nouvelle solidarité et d'une nouvelle liberté.
Les trois pays appartiennent à un continent où le nombre d'apprenants de français est le plus bas dans le monde. Ils sont membres actifs de l'ASEAN où la langue de travail et de communication est l'anglais. Avec 99 millions d'habitants (environ 20 % de la population totale des pays francophones), l'Asie du Sud-Est francophone a le taux de locuteurs de français le plus faible : environ 0,42 % de la population totale d'après l'ouvrage du Haut Conseil de la Francophonie "La Francophonie dans le monde 2002-2003", dont beaucoup sont du troisième âge. Cette réalité résulte des vicissitudes de l'histoire depuis la décolonisation manquée en Indochine où le français a perdu son statut officiel. Elle est d'autant plus inquiétante qu'il n'y a pas encore de politique officielle des gouvernements pour une répartition équilibrée de l'apprentissage des langues étrangères, dont le français.
L'enseignement du et en français est indispensable
À cet égard, la proposition faite pour que, dans les pays membres de la Francophonie, le français ait le statut de langue étrangère la plus favorisée, revêt toute son importance. L'engouement à l'excès pour l'apprentissage de l'anglais met les trois pays en porte-à-faux par rapport à la Francophonie. L'Asie du Sud-Est ne pourra participer pleinement à l'espace de coopération et de solidarité francophone que si d'urgence, les États mettent en oeuvre une politique volontaire en faveur de l'usage de ce ciment du rassemblement francophone qu'est la langue française. Évidemment, il est irréaliste de penser que le français sera parlé dans la rue et utilisé dans les administrations comme il l'est dans la plupart des pays africains francophones. Les langues nationales occupent et occuperont toujours leurs places dominantes et irremplaçables. Cependant, qu'on le veuille ou non, il est temps que ces pays prennent conscience de la nécessité incontournable de former un nombre suffisant de francophones rien que pour assurer leur pleine participation dans les travaux et programmes de la Francophonie, mais aussi pour pouvoir se nourrir du dialogue des cultures en Francophonie. Pour ce faire, l'enseignement du et en français est indispensable afin que les échanges entre la Francophonie et ces trois pays soient significatifs. Ils doivent être conscients aussi, que la valorisation de la langue française dans la mondialisation ne peut se réaliser en dehors du multilinguisme car l'anglais ne peut être refusé.
Mais les trois pays ont aussi partagé une histoire francophone, l'histoire de l'Indochine, ce qui les a conduits progressivement l'un après l'autre à rejoindre la famille francophone. Avec la Francophonie, ils se sont de nouveau retrouvés au sein d'une même communauté interculturelle. Cette adhésion à la Francophonie doit souder les trois pays autour d'une identité commune et une même conception humaniste de la mondialisation. La Francophonie est, cette fois, pour eux une chance pour qu'ils pèsent ensemble et développent une nouvelle synergie sur la scène mondiale. Reste à eux d'en tirer profit et de renforcer leurs coopérations régionales francophones.
Par Phan Thi Hoài Trang - Le Courrier du Vietnam - 27 Juin 2004.
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