Le Vietnam à marche forcée
Les concurrents du Raid Gauloises ont enduré la chaleur et l'humidité sous les yeux d'une population chaleureuse, mais souvent stupéfaite.
HANOI - Le vacarme du gros hélicoptère blanc flanqué du drapeau rouge à l'étoile jaune fait
oublier tout le reste.
Chacune des apparitions du MI 17 de fabrication soviétique mis à disposition des
organisateurs du Raid Gauloises par les autorités vietnamiennes provoque la même
agitation. A Dong Mo, comme dans d'autres communes de la province du Thai
Nguyen
ou d'ailleurs, à quatre-vingts kilomètres au nord d'Hanoï, les villageois affluent par
centaines. Les enfants d'abord, mais aussi les adultes, surtout des femmes, intrigués
par cette approche singulière qui génère autant de souffle que de bruit. Les arbrisseaux
et les herbes hautes ploient sous la pression de l'air, un nuage de poussière s'élève du
sol. Il y a à peine trente ans, les derniers engins volants que les plus âgés du pays ont
connus dans le ciel étaient américains et déversaient à l'aveugle leurs charges
meurtrières.
Il est 11 h 30 du matin ce jeudi, sixième jour de course, à l'approche du point de
contrôle
numéro 33, lorsque apparaît l'équipe pointant alors en tête du plus ancien des raids
d'aventure
non motorisée. L'image est forte : les bras en croix, un sourire dissimulant mal sa
souffrance,
Rebecca Rush semble traîner un chapelet d'enfants. Derrière elle, ses coéquipiers de
l'équipe
américano-australienne Parallax donnent l'impression d'une armée en déroute sur cette
paisible
route de campagne. "Nous sommes bien dans nos têtes, mais le physique a plus de mal
à
suivre", lâche Tony Molina, le capitaine. Accroché à lui, fermant la marche, les bras
ballants, les
yeux mi-clos et la bouche ourlée d'écume, Gary Sutherland avance comme un zombie.
Depuis la
veille, il souffre de problèmes intestinaux aigus. "Il a dû boire de l'eau infectée et,
depuis, il ne
peut plus suivre le rythme et souffre de diarrhée, explique Rebecca Rush.Il ne mange
plus
rien depuis l'assistance numéro 2. Il est très faible."
Par plus de trente-cinq degrés au soleil et une humidité proche de 100 %, le "maillon
faible" de
Parallax est plongé tout habillé dans la rivière Sông Kong. Nga, la jeune
guide-interprète
dépêchée par le ministère des affaires étrangères vietnamien auprès de l'organisation,
s'étonne :
"Il ne faut jamais se baigner à cette heure de la journée. Les contrastes trop violents
ont
des effets néfastes sur l'organisme et le rendent beaucoup plus vulnérable." Peu après,
Day,
une vieille dame coiffée du traditionnel chapeau de paille pointu, s'approche, animée de
la même inquiétude : "Je connais les
plantes qui permettent de guérir le mal dont souffre la jeune femme. Il y en a, juste de
l'autre côté de la rivière." Mais le
Raid suit son cours.
Protégé du soleil par la bâche bleue du point de contrôle, un médecin aspire à l'aide
d'une seringue les nombreuses ampoules qui,
telles un bracelet, entourent les chevilles de Rebecca Rush, puis les imprègne d'éosine.
La nuit suivante, peu après que son équipe
ne perde la tête de la course, Gary Sutherland est perfusé pendant deux heures. Il
décide malgré tout de continuer sa douloureuse
aventure.
"Pour la première fois, le Raid Gauloises est dans son concept d'origine, explique Alain
Gaimard, 43 ans, un ancien guide de
haute montagne savoyard, qui est aujourd'hui le directeur général et le directeur de
course du Raid Gauloises. Les équipes ne sont
jamais arrêtées, à la différence des années précédentes où une rivière difficile, une
arête montagneuse, empêchaient des
franchissements la nuit."
La chaleur et l'humidité aidant, cette contrainte a rendu cette onzième édition
particulièrement éprouvante pour les cinquante et une
équipes mixtes participant à la course : mille kilomètres à parcourir par ses propres
moyens (lors de trekking-orientation, en VTT,
en radeau et en sampan ou en kayak de mer) dans une nature à la fois attrayante et
hostile. "Le plus gros problème c'est l'eau,
explique Michel Sibuet-Becquet, membre de l'équipe Intersport, qui en est à sa
quatrième participation à un Raid Gauloises.
Durant les traversées sur les rivières ou les lacs, les pieds meurtris se fragilisent encore
davantage. En même temps, l'eau coule
de partout. Ruisseau, fontaine : c'est super-luxe. On n'est pas obligé de se rationner."
Le Raid Gauloises a désormais pris une dimension qui n'a plus rien à voir avec celle de
l'origine. Alors que cinquante et une
équipes mixtes étaient au départ, samedi 27 avril, dans les rues de Bac Ha, à un jet de
pierre de la frontière chinoise, en 1989, en
Nouvelle-Zélande, vingt-sept équipes étaient engagées. "Pour la plupart, il s'agissait
d'amateurs de nouvelles sensations et
d'aventures et pas forcément de sportifs chevronnés, se rappelle Alain Gaimard. Les
meilleurs d'aujourd'hui auraient fait la
Nouvelle-Zélande en trois jours. Les concurrents des cinq premières équipes sont des
martiens."
Des martiens aussi pour les gens des régions traversées, dont un très grand nombre
côtoyaient pour la première fois des
Occidentaux. "Les gens trouvent ça bizarre, explique Nga. Ils n'arrivent pas à
comprendre pourquoi ils prennent
volontairement autant de risques." La qualité de l'accueil réservé par les
Nord-Vietnamiens a été extraordinairement
chaleureux. "La nuit, on ne voit pas les chemins. Parfois, on arrive à se faire guider par
les gens, raconte Jérome Dumoulin,
un grand gaillard énergique et avenant de l'équipe Ertips qui fut l'une des grandes
animatrices de la course. Avant d'atteindre le
point de contrôle 23, on a commencé à se perdre dans les rizières, puis des paysans
nous ont invités chez eux. Au menu :
riz gluant, herbes et œufs. On s'est régalés !" Mais le grand jeune homme reconnaît
que, le plus souvent, confrontés aux
impératifs de l'urgence et à une méconnaissance de la langue, les échanges se limitent à
"Coca, banana, La Vie", marque la plus
courante d'eau minérale dans le nord du pays.
Alors qu'il ne donnait pas cher de lui après que le docteur Olivier Aubry, responsable
médical du Raid, lui eut retiré l'ongle du petit
doigt suite à une très sérieuse infection du pied droit, Sylvain Mangin, 30 ans, a
remporté, avec l'équipe VSD-Eider, la onzième
édition du Raid Gauloises après 6 jours, 19 heures et 14 minutes de course. Après un
parcours final de 120 kilomètres en kayak
de mer dans la baie d'Along, la joie d'avoir terminé en vainqueur une si difficile épreuve
n'a pas suffi.
"Je n'ai pas été convaincu par cette première expérience, explique calmement ce
membre de l'équipe de France de course
d'orientation.Les organisateurs semblent surtout préoccupés par la vente des images et
d'un produit exotique aux
médias."Ce que retient du Vietnam cet athlète de haut niveau de 30 ans, ce sont les
rencontres. "C'est énorme au Vietnam. Ici,
les gens sont zens tout le temps, envahissants parfois, mais tout cela aide. C'est là que
c'est vraiment de l'aventure."
Par Jean-Jacques Larrochelle - Le Monde, le 9 mai 2002
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