~ Le Viêt Nam, aujourd'hui. ~
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Le Vietnam peine à redémarrer après la crise asiatique

La croissance souffre du faible niveau de l'investissement étranger, découragé par une main-d'oeuvre peu compétitive.

Depuis le lancement de la politique de « rénovation » ( doi moi) économique en 1986 jusqu'au déclenchement de la crise asiatique, le Vietnam a accompli, au plan macro-économique, un parcours exemplaire : la valeur de la monnaie a été stabilisée par rapport au dollar, l'équilibre des comptes publics et des comptes extérieurs a été restauré. Entre 1992 et 1997, le taux de croissance du produit intérieur brut (PIB) n'a jamais été inférieur à 8 % et celui de la production industrielle s'est établi à 15 % en moyenne. Enfin, ce pays, qui ne parvenait pas auparavant à l'autosuffisance alimentaire, est devenu le troisième exportateur mondial de riz.

Cette forte croissance s'est traduite par une élévation incontestable du niveau de vie. Deux enquêtes pilotées par la Banque mondiale confirment la réduction du nombre des pauvres. En retenant comme critère l'incapacité d'atteindre le seuil minimal de 2 100 calories par tête, la proportion de Vietnamiens vivant en dessous du seuil de pauvreté a baissé de 55 % à 35 % environ entre 1992-1993 et 1997-1998. Ce résultat a été obtenu grâce à la forte élévation des prix agricoles qui a amélioré le sort des paysans. Les inégalités, qui demeurent relativement modérées par rapport aux pays de niveau de développement comparable, semblent s'être stabilisées. L'économie du Vietnam - lequel est toujours dépourvu de marché financier - n'a pas connu une crise aussi grave que ses voisins asiatiques, mais elle peine à repartir. La croissance du PIB, estimée à 5,8 % pour 1998, a encore chuté en 1999 (environ 4,5 %) et les prévisionnistes ne la voient pas repartir avant l'année prochaine. Ce résultat mitigé a deux causes principales, au demeurant liées : le ralentissement très marqué des investissements étrangers - l'un des facteurs de la croissance soutenue des années antérieures - et l'insuffisante compétitivité de la main-d'oeuvre.

Les investissements directs étrangers se sont effondrés à 1,4 milliard de dollars en 1998 et 1,2 milliard l'année suivante, contre 8,7 milliards en 1996 et 4,4 milliards en 1997. Le phénomène le plus remarquable est ici le quasi-effacement des principaux investisseurs traditionnels (Singapour, Taïwan, Hongkong et le Japon), qui s'explique en partie par des raisons conjoncturelles. La main-d'oeuvre vietnamienne n'a pas encore une productivité très élevée quand on la compare à celle d'autres pays intégrés depuis longtemps dans l'économie de marché ; or les salaires vietnamiens, évalués en dollars, n'ont pas connu la baisse observée dans d'autres pays d'Asie. Le gouvernement a réagi en assouplissant la politique salariale appliquée aux entreprises à capitaux étrangers. Le salaire minimum mensuel est fixé à 45 dollars à Hanoï et Ho Chi Minh-Ville, à 40 dollars dans les villes de moyenne importance et 35 dans le reste du pays. Il a été décidé de faire passer désormais les banlieues des deux villes principales (où se concentrent la plupart des industries) dans la zone à 40 dollars. Simultanément, l'accès des salariés aux heures supplémentaires, mieux payées, a été rendu plus difficile.

A noter que, le 7 octobre 1999, le comité central du Parti communiste vietnamien a pris la décision de repousser sine die la signature d'un accord commercial avec les Etats-Unis, dont le protocole avait pourtant été signé au mois de juillet et qui devait dégager la voie vers l'adhésion du pays à l'OMC. Cette volte-face traduit aussi bien une certaine crispation des conservateurs du parti que le souci de ne pas précéder la Chine sur ce chemin.

FREINS AUX PRIVATISATIONS

Pour ce qui est des entreprises, l'Assemblé nationale a adopté une loi, applicable au 1er janvier 2000, afin de réduire les handicaps que connaît encore le secteur privé par rapport au secteur public. Le programme de privatisation des entreprises publiques est très en retard sur les objectifs affichés. Au mois d'octobre 1999, deux cent vingt-deux entreprises seulement avaient vu leur capital divisé en actions (sur environ cinq mille cinq cents entreprises publiques). La structure du capital de ces entreprises se répartit, par ordre décroissant, entre les travailleurs de l'entreprise et les cadres, l'Etat (qui en conserve environ un tiers) et d'autres acquéreurs. De nombreux facteurs freinent le processus de privatisation : les conservateurs du parti sont choqués dans leur concept idéologique, les salariés craignent pour leur emploi, les autorités publiques centrales et locales redoutent de voir se tarir une ressource importante de leurs budgets.

Les investisseurs étrangers eux-mêmes sont attachés à l'existence des firmes publiques, dans lesquelles elles voient les meilleurs partenaires potentiels pour constituer une entreprise conjointe. Cette forme d'entreprise n'est toutefois plus le seul moyen de s'installer au Vietnam et l'on voit même de plus en plus d'investisseurs (parmi lesquels Coca-Cola, Pepsi, Procter and Gamble et Colgate-Palmolive) se désengager de l'association qu'ils avaient conclue dans un premier temps et la transformer en une entreprise 100 % étrangère. Ces divorces sont le plus souvent rendus nécessaires par l'incapacité du partenaire vietnamien à assumer financièrement sa part des pertes liées au démarrage de l'entreprise. La désaffection des investisseurs étrangers s'explique également par les obstacles de tous ordres qu'ils rencontrent de la part de la bureaucratie locale. En dépit des déclarations d'intention répétées, les plus hauts responsables politiques ne sont pas parvenus à mettre fin à la corruption endémique. L'année dernière, le secrétaire général du parti communiste, Le Kha Phieu, a lancé une nouvelle campagne de moralisation de la vie politique : conformément au mot d'ordre de « critique et autocritique » emprunté à Ho Chi Minh, les 2,3 millions de membres du parti ont été invités à se dénoncer mutuellement et à dénoncer eux-mêmes leurs propres errements passés. De l'avis général, les résultats n'ont pas été à la hauteur des espérances. Par contre, la décision du 7e plenum du comité central, au mois d'août 1999, de réduire de 15 % le nombre des fonctionnaires, tout en indexant leur salaire sur l'inflation, va dans le bon sens, tant il est vrai que l'insuffisance des traitements est une incitation à chercher des moyens d'existence supplémentaires.

Les grands procès contre les gestionnaires malhonnêtes devraient finir par avoir un effet dissuasif. Au mois d'août dernier, soixante-dix-sept cadres économiques impliqués dans le scandale des sociétés Minh Phung et EPCO (ils s'étaient livrés à une spéculation foncière effrénée entraînant des pertes évaluées à 280 millions de dollars) ont été jugés et six d'entre eux ont été condamnés à la peine capitale. Au Vietnam, comme en Chine, le Parti communiste n'est pas prêt à lâcher les rênes du pouvoir, ce qui confère à ces pays une stabilité politique qui est en elle-même un atout. Mais l'ouverture économique s'accompagne inévitablement d'une certaine libéralisation du régime. Tant que la croissance restera au rendez-vous, le monopole du Parti communiste vietnamien sur la vie politique ne connaîtra pas de véritable contestation. Il en irait tout autrement si le Vietnam subissait à l'avenir des revers économiques sévères.

Par Michel Herland - Le Monde - le 21 mars 2000.