~ Le Viêt Nam, aujourd'hui. ~
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Chronique du Far Est

Allan Rock peut bien aller se rhabiller. S'il croyait détenir la palme du mauvais goût en imprimant des gencives noiricies sur les emballages de cigarettes, il a tout faux.

Le Vietnam mène actuellement une campagne de sensibilisation pour le port du casque à motocyclette. Un peu partout, on placarde des photos de cerveaux exorbités de boîtes crâniennes fracassées. Par ici une tête sans front, par là un visage fendu en deux. Les affiches, qu'on retrouve aux traversiers dans le delta du Mékong par exemple, comportent aussi des avertissements en vietnamien que je ne suis pas parvenue à décoder, mais ici comme au Canada, une image vomit le mot. Pas besoin de savoir lire pour comprendre.

Il faut dire que l'initiative du gouvernement repose sur une statistique peu reluisante. Selon une résidente en médecine rencontrée en route, le Vietnam détiendrait le record mondial des traumatismes crâniens. C'est que la circulation sur la terre d'oncle Ho est complètement chaotique et constitue sans aucun doute l'attraction la plus intéressante d'Hô Chi Minh City. Une population d'environ 7,5 millions de personnes, de 2,5 millions de motocyclettes enregistrées et autant de bicyclettes, selon le gouvernement. Si l'on exclut tous ceux n'étant pas en âge de prendre le guidon, presque tout le monde possède sa bécane. Et les règles se résument à ceci: il n'y en a pas.

Vélos, cyclos, piétons, motocyclettes et quelques rares voitures se partagent la route sans distinction, chacun allant à son rythme, les plus pressés contournant les plus lents, par la droite ou par la gauche, cela n'a aucune importance. Car on circule dans tous les sens. Pas de ligne jaune sur le pavé, d'ailleurs, et les feux de signalisation, quand il y en a, y sont plus à titre qu'autre chose. Il n'y a qu'aux heures de pointe que les jeunes du Parti communiste sont dépêchés aux carrefours les plus importants pour agiter un petit fanion rouge, incarnant l'autorité que la machine n'arrive pas à imposer. Sans feux ni arrêt-stop, personne n'a la priorité et personne ne tient pour acquis qu'il l'a. Partant de là, on circule plutôt lentement, on oublie que le chemin le plus court entre deux points est la ligne droite et on se montre surtout disposé à s'adapter à tous les autres qui nous entourent. Pour traverser la rue, le piéton n'a qu'à s'engager sur la voie sans jamais s'arrêter ou accélérer. Le flot motorisé le contournera.

En contrepartie, ça vous fait un vacarme Car si l'on ne s'arrête jamais et qu'on ne répond à aucune règle prévisible, on s'annonce. Bip! par ici, je t'arrive en pleine tronche, fait gaffe. Bip! par là, prends garde à ton pare-choc avant, je te coupe par la droite. Mais attention! Contrairement à Montréal, où le klaxon est la manifestation d'une injure, là, il ne traduit aucune animosité. À peine un avertissement. C'est quand même toute une sensation d'être dans le pousse-pousse avant de l'un de ces joyeux fous du guidon et de voir littéralement des dizaines de motocyclettes se diriger vers vous dans le désordre le plus complet. Faut avoir confiance. Car, en cas d'accident, le coussin gonflable, c'est vous.

Et dire qu'ils ne sont pas assurés, ces Vietnamiens. Un ami établi à Saïgon m'expliquait que le Vietnamien moyen dépense en assurance, en un an, ce que l'Américain moyen dépense en 45 secondes! Même pour un pays pauvre, le Vietnam se trouve bon dernier en la catégorie. Les accidents n'arrivent qu'aux autres, pense-t-on par là. Et c'est pourquoi le gouvernement pense à eux en placardant ses cerveaux sanguignolents.

Par Hélène Buzzetti - Le Devoir, le 21 décembre 2001.