L'autre "opium du peuple"?
Face à l'impondérable "vérité du
terrain", la plus ferme des idéologies
pèse peu. Le journal du Parti
communiste du Vietnam, Nhân Dân,
ne s'est donc pas hasardé à édicter une résolution sur la finale de la
Coupe du monde de football, alors que la compétition entrait dans
les huitièmes de finale.
Il s'est contenté de prononcer un vœu :
"Une ultime rencontre opposant l'Allemagne et le Brésil, deux
équipes au style très différent, serait idéale." Le parcours accompli
jusque-là par la Corée du Sud et le Japon, "dont les équipes ont
joué passionnément, avec le cœur", a été salué par le journal,
heureux de souligner les "pas de géant" du football asiatique, qui est
parvenu à supplanter des équipes comme celles de la France, de
l'Argentine ou de la Russie. Avant même cette performance des
équipes des deux pays hôtes, la passion du foot avait saisi les
habitants du Vietnam, regroupés devant des grands écrans, comme
celui du Hanoi Fashion Café. Au cours des semaines précédentes, les
ventes de téléviseurs avaient été stimulées, la compagnie
d'électricité de la capitale promettant de tout mettre en œuvre pour
éviter la moindre coupure durant toute la durée de la compétition...
Le "fléau des paris clandestins", qui s'est vite répandu, a été
dénoncé avec virulence par le quotidien du Parti communiste ; des
"sanctions sévères" ont été réclamées dans ses colonnes contre les
coupables, dont les activités "affectent profondément l'ordre social
et entraînent d'innombrables délits sociaux". Le journal des sports,
The Thao, avait noté que, les matches ayant lieu cette année en
Asie, "les Vietnamiens, pour la première fois, n'ont pas à veiller
pour suivre la Coupe du monde". Il leur suffit de rester plantés
devant la télé durant les heures de travail...
Le journal a mis en
garde contre "l'inertie générale de la production dans le service
public, où les travailleurs sont tentés de régler rapidement leurs
affaires dans la matinée pour pouvoir passer le reste de la journée
devant la télévision." Le ton était également alarmiste dans le
journal anglophone Vietnam Investment Review : "Combien
d'employés de bureaux et d'entreprises arrêtent de travailler pour
regarder les matches, et combien cela coûte à la productivité et à
l'économie nationale ?" Les étudiants aussi ont été montrés
du doigt, par le journal Tien Phong (Avant-Garde).
Par Michel Grossiord, Europe 1/Le Monde, le 17 Juin 2002.
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