Étonnant Vietnam
Dien Bien Phu ou le commencement de la fin de l’empire colonial français : après l’Indochine, ce sera au tour de l’Algérie, puis de l’Afrique noire, de réclamer leur dû légitime, l’indépendance. Humiliée au plus profond d’elle-même par la débâcle de 1940 et par l’occupation nazie qu’elle fut la seule puissance européenne à subir, la France n’était pas prête à divorcer par consentement mutuel d’avec ses anciennes colonies.
Cette réaction de sauvegarde illusoire ne lui permit pas d’accompagner, en digne Patrie des droits humains, le mouvement d’émancipation des peuples auquel elle fut confrontée, comme la Grande-Bretagne. La France en reconstruction comptait sur ses colonies pour restaurer son autorité nationale et internationale. De Gaulle, le visionnaire du 18 juin 1940, se trompa en voulant dompter le dragon indochinois. Ho Chi Minh l’avait conquis et préparé à se libérer de ses chaînes.
« L’oppression nous vient de la France, mais l’esprit de libération aussi », confiait, dès 1926, un Vietnamien au rouletabille écrivain Léon Werth (1). À la soif de liberté et de considération partagée par des millions d’hommes et de femmes, aucune armée, fusse l’une des meilleures du monde, ne peut résister. Les Français en firent la cruelle expérience dans le cul-de-sac de la mort à Dien Bien Phu en 1954. Les Américains connaîtront le même sort lors de leur invraisemblable sauve-qui-peut en 1975.
Témoignage chrétien n’a pas démérité durant la guerre d’Indochine. En 1949, il est l’un des premiers journaux, voire le premier, à révéler sous la signature de Jacques Chegaray, l’usage courant de la torture par l’armée française. « Ce qui m’a frappé, écrit le reporter, c’est que l’usage de la torture était admis, pratiqué chaque jour, reconnu, sinon justifié, par tous. L’ambiance indochinoise joue à ce point qu’on ne se pose même plus la question de savoir si ces procédés sont ceux d’une nation civilisée. » L’article fait scandale, déclenchant des débats houleux à l’Assemblée nationale.
En janvier 1954, c’est François Mauriac, la lucidité à la pointe du stylo, qui laisse éclater son indignation dans nos colonnes : « La paix en Indochine, ce n’est pas un vœu, ce n’est même plus un désir : c’est une exigence... L’indicible souffrance des coolies du Vietminh répond à la souffrance indicible des soldats de toutes races qui se battent sous notre drapeau. » Deux leçons à tirer de ces écrits engagés : 1. Aucun angélisme chrétien n’est de mise devant l’injustice et la barbarie. Autrement dit, le recours à la lutte contre l’inacceptable n’est pas contraire à la conscience évangélique. 2. Nous sommes les continuateurs d’un journalisme qui saigne avec les opprimés, qui se bat contre les oppresseurs. L’amour et la colère sont toujours les deux mamelles de l’espérance qui taraude le nouveau TC.
Étonnant Vietnam ! Comment ne pas être fasciné par ce peuple de paysans poètes, insoumis aux fatalités de son histoire repue d’invasions et d’esclavage et capable de bouter hors de ses rizières les plus grands empires ! Étonnants Vietnamiens ! Sous un régime communiste ambigu, politiquement liberticide, économiquement libéral, ils s’adaptent, se renouvellent sans brader leurs traditions, leur sens inné de l’harmonie. Un Vietnamien sur deux a moins de 20 ans. Sa mémoire peut flancher, pas sa quête d’avenir. Elle est aiguisée par les produits alléchants qu’offrent les vitrines à Hanoi et Ho Chi Minh-Ville. Voilà la revanche des « chiens de capitalistes » que vomissait la propagande de l’Oncle Ho ! Reste ce beau trait d’union entre les jeunesses de France et du Vietnam : la guerre est impensable sur leur sol et dans leur esprit. Donnons-leur raison en bannissant les injustices et les inégalités de la mondialisation actuelle. Pour qu’il n’y ait plus jamais de Dien Bien Phu.
(1). "Cochinchine, Voyage", présentation de Jean Lacouture, éditions Viviane Hamy, 249 p., 1997.
Témoignage chrétien - 6 Mai 2004.
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