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La Chaîne de l'Espoir : dix ans d'existence, des milliers d'enfants sauvés


HO CHI MINH-VILLE - Depuis une dizaine d'heures, le Dr Keyvan Mazda coupe, taille, redresse. A la fin de sa journée de travail, tard dans la nuit, une bonne douzaine de malades se seront succédés sur la table d'opération rudimentaire de l'hôpital de Bien Hoa, à une centaine de kilomètres de Ho Chi Minh-Ville (Vietnam).
Plusieurs fois par an, sur ses vacances, ce chirurgien intervient au Vietnam pour le compte de la Chaîne de l'Espoir. Cette association humanitaire, créée il y juste 10 ans, a déjà sauvé la vie de plus de 1.500 enfants impossibles à soigner dans leur pays, en les opérant en France.
Dans les pays où elle intervient, la Chaîne en a aussi soigné des milliers d'autres qui pouvaient être totalement guéris ou dont le handicap pouvait être définitivement corrigé par des interventions plus simples.
Chirurgien orthopédiste pour enfants au très moderne hôpital Robert Debré de Paris, futur chef de service - "en 2000 si tout va bien", dit-il - le jeune médecin ne semble pas troublé par la pénurie d'instruments à laquelle il est confronté. "Une chignole comme ça, on n'en voit plus depuis plus 40 ans en France", commente-t-il en reposant la perceuse nickelée qu'il vient d'utiliser.
"Des trucs comme ça non plus", ajoute-t-il, souriant sous son masque, en empoignant un vulgaire tournevis à manche de bois rouge comme on en trouve sur n'importe quel établi de menuisier.
Sur la table d'opération, la petite Linh, dort, le mollet béant. Le Dr Mazda fixe une simple vis dans son péroné qu'il vient de séparer, à bruyants coups de pinces, du tibia auquel il était malencontreusement soudé. "Attention, la chirurgie orthopédique, c'est très sonore", avait prévenu un médecin avant d'entrer dans la salle.
Sur les tables voisines, deux spécialistes de chirurgie plastique pèlent méticuleusement le visage et le torse de deux enfants cruellement brûlés. Fragment par fragment, il appliquent sur les plaies les lambeaux de peau qu'ils viennent de prélever sur leur ventre.
Amenés parfois de très loin par leurs familles, prévenues de la venue des médecins français par les émissaires du tout puissant comité populaire vietnamien, les enfants ont été sélectionnés la veille parmi des dizaines d'autres. "Nous ne prenons que les cas qui peuvent être 'améliorés' ou guéris en une ou deux interventions maximum : becs-de-lièvre, séquelles de poliomyélite ou de traumatismes", explique le Pr Alain Deloche, président de l'association.
Les deux plasticiens ont délaissé pour quelques jours le confort de leurs cabinets médicaux et renoncé aux liftings et aux lippo-succions pour redonner figure humaine à des dizaines d'enfants gravement brûlés.
Au Vietnam, réchauds et lampes à alcool ou à huile pullulent. A chaque coin de rue, sur un bout de trottoir, les femmes installent de petites cantines et les hommes improvisent des ateliers de vulcanisation à chaud pour réparer les chambres à air des vélos, cyclos-pousse et autres cyclomoteurs.
"Les enfants jouent et se bousculent tout autour. Un faux mouvement, et c'est la catastrophe", explique Emmanuel Pollein, coordonnateur de la Chaîne au Vietnam.
Dans la cour de l'hôpital, un "vieillard" au visage ravagé par le feu tourne en rond. "Ne vous y trompez pas, raconte Emmanuel Pollein, il a à peine vingt ans. Un chat qui poursuivait un rat a renversé la lampe à pétrole avec laquelle il s'éclairait. Le temps que ses voisins interviennent, la chemise de nylon qu'il portait avait fondu sur lui. Sous l'effet de la chaleur, les chairs de son bras et de son torse se sont soudées. Comme il ne peut plus faire que de menus travaux, dans son village, il est payé comme une femme".
Pour la chaîne de l'Espoir, il est déjà trop âgé pour être opéré.

Philippe COSTE - AFP, le 24 mars 1998.