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Grippe aviaire : enquête sur l'origine de la dispersion du virus au Vietnam

Après l'annonce, jeudi, par des chercheurs chinois que la grippe aviaire aurait réussi à infecter des porcs locaux, puis la dénégation de l'information par le gouvernement, le ministère chinois de l'Agriculture a reconnu hier que des cas porcins avaient bien été identifiés en 2003, mais pas cette année. Alors que l'Asie continue de faire face à la menace du virus H5N1, qui a déjà emporté 19 Vietnamiens et huit Thaïlandais, l'Organisation mondiale de la santé reproche à la Chine son manque de transparence et de coopération. La Malaisie a confirmé hier qu'aucune des sept personnes hospitalisées ce week-end après la découverte dans leur environnement de deux poulets tués par le virus H5N1 n'a contracté la maladie. Ce qui n'a pas empêché l'Union européenne d'interdire l'importation d'oiseaux exotiques et de plumes en provenance de Malaisie. Au Vietnam, à l'origine de l'épidémie de cette année, des vétérinaires français sont parvenus à reconstituer l'enchaînement des premières contaminations et espèrent en tirer des leçons.

Comment le virus grippal A (H5N1) a-t-il pu se propager début 2004 à la quasi-totalité du Vietnam pour y tuer, en quelques semaines seulement, 44 millions de volailles ? De quelle façon les autorités de Hanoï peuvent-elles aujourd'hui se préparer efficacement au retour de la maladie ? C'est, entre autres, à ces questions que tente de répondre l'enquête rétrospective réalisée en mai et juin dernier par l'ONG Vétérinaires sans frontière (VSF), pour le compte de la Banque mondiale et du ministère vietnamien de l'Agriculture.

Fondé sur des entretiens avec plusieurs dizaines d'éleveurs, prestataires de services et responsables administratifs, cette étude tout récemment achevée, sous le titre «Évolution et impact de l'épidémie d'influenza aviaire et description de la filière avicole au Vietnam», analyse, pour la première fois avec ce degré de précision, le mécanisme de progression du virus dans diverses localités vietnamiennes. Et détaille comment villageois, vétérinaires et fonctionnaires ont été également pris de vitesse par la progression du virus dans les toutes premières semaines de l'année.

Dans le village montagneux de Ret (province de Phu Tho, au nord du Vietnam), où coexistent des élevages familiaux typiques, des entretiens avec 40 des 48 chefs de famille concernés ont par exemple permis de reconstituer le déroulement exact de la crise. Tout y commence le 28 décembre 2003, soit peu de temps après l'achat, par un fermier local convoyant ses animaux à moto, de plusieurs poussins de deux jours nés dans une province du delta vraisemblablement infectée. Ce jour-là, un paysan de Ret découvre parmi ses 150 poulets de chair plusieurs animaux mal en point. Abattus, affichant une congestion de la tête ou des pattes et souffrant de diarrhée, ceux-ci auront juste le temps de transmettre le mal avant de mourir foudroyés, deux à douze heures après le début des symptômes.

En quelques jours, 31 élevages sur les 36 que compte la localité sont contaminés. Et pour cause : la distance moyenne entre deux fermes – pour l'essentiel il s'agit en fait de maisons dont l'arrière-cour abrite quelques poules, poulets et canards de Barbarie – n'excède pas 17 m. «En outre, précise le rapport, la circulation des personnes et des animaux se fait de manière continue dans le village.» L'épizootie, qui ne sera contrôlée qu'un mois et demi plus tard, le 17 février, s'apprête à frapper la quasi-totalité du cheptel local, avec un taux de mortalité dépassant 80%. Bien avant que les autorités ne mesurent la gravité de la situation.

Livrés à eux-mêmes, les villageois multiplient alors sans le savoir les comportements à risque. Selon leur témoignage, ils mangent en effet 50% des poulets malades, au risque de s'infecter, et vendent jusqu'à 30% des volailles saines – mais possiblement porteuses du germe –, sans crainte de favoriser la propagation du virus. «Ces données montrent que les petits éleveurs, s'ils n'ont pas subi d'énormes pertes financières à cause de l'épizootie, se sont mis en danger en ne voulant pas renoncer à la consommation des quelques têtes qui composent leur cheptel», explique Patrice Gautier, représentant de VSF au Vietnam. Or, si Ret a été relativement épargné, l'exposition massive au virus A (H5N1) par contact avec des volailles infectées a cet hiver emporté 16 Vietnamiens. Diffus dans les zones de collines et de montagnes, l'impact économique de l'épizootie semble en revanche s'être fortement manifesté dans les plaines plus fertiles qui s'étalent à l'embouchure du fleuve Rouge. Là en effet se succèdent, en marge des petits élevages familiaux, des fermes moyennes comptant plusieurs centaines de volailles – parfois plusieurs milliers – dont la perte peut entraîner la brusque ruine d'un paysan.

C'est ce qui est arrivé à ce fermier de la province de Ha Tay, proche de Hanoï, dont les 5 000 poulets de chair ont été foudroyés en trois jours début février. Selon le rapport de la Banque mondiale, son élevage avait déjà perdu 2 500 têtes quarante-huit heures après avoir été contaminé par un voisin, lorsque les services vétérinaires du district ont ordonné l'abattage du cheptel entier. Or ces animaux étaient prêts à vendre, après quatre-vingt-cinq jours d'une coûteuse maturation : ce qui représente une perte de 33 000 dongs (un peu plus d'un euro) par tête. Trois mois plus tard, note VSF, l'homme n'a pas repris son activité, ses fournisseurs refusant de lui faire crédit.

Pour ne rien arranger, révèle ce rapport, le versement des indemnités promises par le gouvernement vietnamien n'a toujours pas été à ce jour – au moins systématiquement – mis en oeuvre. Carence qui pourrait, à l'heure où l'épizootie semble de nouveau s'implanter dans certaines provinces du pays, dissuader certains paysans de renouveler les abattages acceptés il y a quelques mois. En réponse à ce péril, VSF juge urgent de «mieux comprendre les mécanismes de commercialisation et de déplacement des volailles, afin de mieux les organiser et les contrôler, à l'échelle des districts, des provinces et du pays».

Par Cyrille Louis - Le Figaro - 24 Août 2004.