Le doux chant des captives
Le bagne de Poulo Condor a interné les prisonnières de la guerre du Vietnam. Riz noir raconte l’incarcération des femmes. Un remarquable roman tout en délicatesse
A l’heure où on s’interroge sur le sort des prisonniers de guerre et sur le statut de la torture un premier roman traite des conditions de captivité des prisonnières pendant la guerre du Vietnam.
Tan et sa sœur Tao ont 15 et 16 ans lorsqu’elles sont arrêtées à la sortie du lycée français de Cholon. D’abord torturées en centre ville, elles seront transférées au bagne de Poulo Condor au large de Saigon à la fin des années 60. Elles passeront sur cette île 22 mois, dont 18 dans d’épouvantables cages à tigres souterraines.
Le temps du roman effectue des allers-retours entre cette détention et l’enfance vietnamienne. Car, lorsqu’on est captive, les repères éclatent à l’épreuve de la torture. Pourtant, une solidarité toute féminine naît de l’horreur partagée : les femmes chantent des berceuses, appellent les morts, se moquent de leurs gardiens. Surtout, les souvenirs permettent de lutter contre la perte de raison.
Aussi Tan raconte-t-elle les créations sur soie et les teintures de sa mère, la couleur des champs de riz, ou les odeurs fleuries de sa première maison.
Les silences de l’horreur
Puis, elle décrit le passage aux années noires dont elle se rappelle surtout le décompte journalier des morts annoncé à la télévision chaque soir.
Anna Moï est née au Vietnam en 1955. Elle a construit cette fiction à partir du témoignage d’une prisonnière rencontrée à Saigon. A partir du vécu, elle imagine le reste auquel elle confère une remarquable qualité d’écriture. Ses héroïnes en effet ne gémissent ni ne se plaignent de leur sort. Elles disent, sans complaisance ni violence, le quotidien de la séquestration.
A force d’ellipses et de silences évocateurs on plonge dans un enfer sans vraiment en mesurer toutes les parois. Car on plonge aussi dans les rituels traditionnels vietnamiens, et les couleurs d’un pays. Ce premier roman n’a pas de velléités politiques ni historiques. C’est un délicat voyage au bout de la nuit écrit avec une quasi-poétique pudeur.
Riz noir, Anna Moï, Gallimard, 177p, 14,5€
Par Madeleine Garde - Le Petit Journal - 18 Juin 2004.
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