Malgré la crise, la jeunesse dorée de Saïgon profite de la vie
HO CHI MINH-VILLE - Loin des valeurs d'ascèse
prônées par le Parti communiste, loin aussi de la crise asiatique qui
frappe l'économie vietnamienne, la jeunesse dorée de l'ancienne Saïgon
(sud) flambe des fortunes avec insouciance.
Devant l'hôtel Prince, l'un des plus chics de l'ex-Saïgon, une foule de
jeunes hommes privilégiés accompagnés de leurs petites amies, dont les
bijoux scintillent sous les néons, arrive le soir avec leurs grosses motos
japonaises avant d'entrer dans une discothèque du bâtiment de style
colonial.
Plus de vingt ans après la "libération" de Saïgon par les communistes et la
remise au pas de l'ancienne capitale turbulente du Sud-Vietnam, la jeunesse
nantie se rue aujourd'hui dans les boîtes de nuit ou les meilleurs
restaurants qui font le plein tous les soirs en dépit de leurs prix
prohibitifs.
Une décennie d'ouverture économique, qui a vu Saïgon devenue Ho Chi
Minh-Ville enregistrer une croissance économique de 12% par an, est passée
par là.
"Pour être branché, il faut avoir une voiture de luxe, évidemment une
Japonaise, et être prêt à payer plusieurs centaines de dollars pour une
soirée de fête", explique Vu Trong Hung, fils d'un entrepreneur fortuné de
la ville.
"Je change de téléphone portable tous les trois ou six mois pour toujours
avoir le modèle le plus récent", poursuit-il.
Hung, 25 ans, se trouve avec ses amis au bar de l'Apocalypse Now, devant
une table chargée de bouteilles de cognac français dont le prix varie entre
60 et 180 dollars l'unité, quand un instituteur saïgonnais gagne environ 45
dollars par mois.
"Je ne crains pas la crise (asiatique), elle ne peut pas toucher tout le
monde!", s'exclame Hung, "ça sert à quoi de gagner de l'argent si on ne le
dépense pas?". Il a, avec son père, des participations dans trois
restaurants et deux hôtels.
"La jeunesse dorée de Ho Chi Minh-Ville, ce sont en majorité des enfants de
hauts cadres corrompus, de trafiquants de tout poil et de riches
commerçants", relève avec amertume un cadre communiste qui vit grâce à sa
retraite mensuelle de moins de 30 dollars.
Cette poignée de "nantis" est composée en outre de jeunes hommes d'affaires
qui se sont rapidement enrichis après l'ouverture économique du pays dont
la métropole de 5,5 millions d'habitants a été la locomotive.
Doan Hong Viet, patron d'une compagnie informatique privée, connaît toutes
les bonnes adresses. "Dîner dans le district 1, pour les meilleurs
restaurants, coucher dans le 3ème (avec les prostituées), et aller jouer
dans le 4ème", recommande-t-il.
Il vient de fêter avec ses amis son 27ème anniversaire dans un grand hôtel
de Saïgon puis dans un salon de karaoké. Addition pour la soirée: "au moins
1. 000 dollars", admet Viet.
"Je dépense beaucoup d'argent pour mes voyages touristiques à l'étranger et
pour le sexe avec de jolies prostituées. Avant ça aurait été impossible
faute d'argent", raconte-il en lançant un clin d'oeil.
L'important est de s'offrir du luxe, sans penser à l'avenir, ni à la misère
d'autrui. La prospérité de Ho Chi Minh-Ville n'a pourtant pas profité à
tout le monde, alors que le sous-prolétariat urbain mendie, vit et dort
dans les rues.
Si les jeunes hommes fortunés affichent leur statut avec l'achat de motos
et de voitures ou la fréquentation des bars et des night-clubs, les jeunes
femmes aisées flambent des fortunes en vêtements, voyages, bijoux,
cosmétiques et parfums.
"Nous travaillons beaucoup et nous voulons vivre mieux", résume Vu Thi
Hanh, 24 ans, gérante d'un salon de coiffure à la mode. "On peut s'enrichir
à condition que ce soit par des moyens légaux", ajoute-t-elle, "car les
trafics et la corruption rongent aujourd'hui Saïgon, comme avant la
"libération".