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Vietnam. Le deuxième souffle du Doi Moi

Dix-sept ans après le lancement des réformes économiques le pays poursuit son ouverture au monde et sa modernisation.

La barque glisse lentement sur l'eau aux reflets rougissants dans la lumière apaisante d'une fin d'après midi. Près des rives, enfoncées dans la rivière jusqu'aux genoux et protégées du traditionnel chapeau conique, des paysannes récoltent le liseron, indispensable à la confection du pho, la soupe de nouilles faites de farine de riz, élément de base de l'alimentation au Vietnam. À leurs côtés, maris ou fils, pêcheurs au torse nu, s'affairent autour des filets et disposent de nouveau leurs nasses. Amplifiées par l'écho, les voix des bateliers et des enfants revenant de l'école rompent seules le silence. Les rizières inondées, les hommes et les femmes qui s'y activent rappellent la ruralité profonde du Vietnam, dont 70 % de la population vit à la campagne. Dans le delta du fleuve Rouge, à deux heures de route de Hanoi, la province de Thai Binh, historique " grenier à riz " du nord, donne la tranquille apparence d'avoir suspendu le temps. Rien n'est plus trompeur. Thai Binh, avec ses 1,8 million d'habitants, mute en profondeur et frémit de projets. La province revient de loin. Après avoir reconstruit sa capitale ravagée par les B52 et pansé ses plaies des deux guerres au cours desquelles 45 000 de ses enfants sont morts, décimant chaque famille, Thai Binh veut faire peau neuve.

Il y a dix-sept ans, les réformes économiques du Doi Moi, ou Renouveau, lui ont redonné souffle, mettant fin à la collectivisation des terres pratiquées dans les années soixante au nord, ouvrant l'économie aux investissements étrangers, libéralisant les prix qui ont revalorisé le travail paysan. La redistribution des terres de 1993 a permis de passer d'un rendement de 5 tonnes de riz à l'hectare à 13 tonnes. La généralisation des mesures au delta du Mékong au sud transforme le Vietnam d'importateur de riz avant le Doi Moi en troisième exportateur mondial. Aussi satisfaisant soit-il, le boom rizicole est jugé aujourd'hui insuffisant à Thai Binh pour faire vivre décemment une population paysanne dont 7 % des actifs sont considérés en surplus. Aussi y aborde-t-on une étape nouvelle : la diversification de la production agricole, en encourageant l'élevage, la pisciculture, et l'industrialisation des campagnes, en ouvrant des zones industrielles destinées à limiter l'exode rural et qui nécessitent apport d'électricité et construction d'infrastructures. Autant de créations d'emplois. Dans la commune de Vu Phuc, la culture maraîchère sous serres par le biais d'une entreprise d'État a fait son apparition. Thrung, lui, a bénéficié d'une aide du fonds des paysans pour créer son propre élevage. 700 porcs, 12 bovins, une centaine de canards et d'oies constituent son capital. Il exporte vers Taïwan et Hongkong principalement, mais il ne cache pas les difficultés que représente la loi du marché. Il emploie une vingtaine de salariés dont le salaire mensuel tourne autour de 40 dollars, le salaire moyen au Vietnam.

7 millions d'habitants à Hô Chi Minh-Ville

Le silence des rizières de Thai Binh semble à des années-lumière du tumulte pétaradant de Hô Chi Minh-ville, où les larges avenues sont devenues trop étroites pour digérer les déferlantes de motos à l'heure de la fermeture des bureaux et des entreprises. Avec ses sept millions d'habitants, la métropole méridionale semble exploser sous la marée des deux roues, à un point tel que la municipalité vient de décider d'en limiter l'achat pour les familles du centre-ville. Les effets ne sont pas immédiats et la route du nord-est qui mène à la province de Dong Nai, à une quarantaine de kilomètres de l'agglomération, tient plus du périphérique parisien aux heures de pointe que d'une promenade bucolique. C'est sans doute la rançon du décollage économique de Dong Nai, jadis terre privilégiée des bases américaines d'où décollaient les B52, et où sont implantées aujourd'hui pas moins de quatorze zones industrielles déjà en activité sur les vingt-trois en projet. 406 entreprises étrangères, nationales ou en capitaux mixtes, s'y sont installées représentant un investissement de 5 milliards de dollars et un emploi pour 160 000 personnes.

Autre visage du Vietnam, Hanoi qui, en dépit des constructions d'hôtels, de banques, de supermarchés de luxe, garde son charme autour de ses lacs et de ses parcs. Moins tapageuse qu'à Hô Chi Minh-ville, la richesse pour certains n'en est pas moins présente, et la spéculation immobilière au centre de la vielle citée a rendu le prix du terrain aussi cher qu'à Paris. La capitale que l'on disait habituellement plus réservée que l'ex-Saigon quant à l'ouverture aux investissements étrangers a elle aussi ouvert ses zones de développement. Les joint-ventures y ont pignon sur rue comme MSA-Hapro Compagnie Ltd, entreprise à capitaux mixtes avec la Corée du Sud. Près de deux millions de vêtements destinés à l'exportation vers les États-Unis et l'Europe sortent chaque année de ses ateliers où travaille une main-d'ouvre jeune et féminine à 70 dollars de salaire mensuel.

Avec 7 % de croissance annuelle, le Vietnam affiche le meilleur taux en Asie orientale, derrière la Chine. Les succès du Doi Moi sont incontestables. En dix ans, le PIB moyen a doublé, passant de 200 dollars en 1990 à 400 en 2000. La famine a été éradiquée mais la lutte contre la pauvreté reste une priorité affirmée. Elle touche 12 % des Vietnamiens. Si l'ensemble de la population a bénéficié des réformes, les inégalités sociales et régionales se sont accrues. Ainsi, par son histoire, Hô Chi Minh-ville était mieux à même de réussir un boom économique rapide. Elle produit le tiers de la richesse nationale et réclame une redistribution proportionnelle, et plus d'autonomie.

La décennie de décollage a entraîné les contradictions propres à la structure centralisée du pays et à son sous-développement. L'effervescence des années quatre-vingt-dix est retombée, la crise asiatique de 1997 a touché le pays par le biais de ses voisins, dont les investissements se sont ralentis et les réformes ont marqué le pas d'autant plus que les excès liés à la libéralisation ont suscité bon nombre de réticences au sein du Parti communiste et des couches de la population fragilisées par les restructurations économiques.

Le Vietnam a repris haleine vers un développement plus maîtrisé lié aux nouvelles donnes internationales, à l'intégration étroite du pays à la construction d'une économie régionale qui passe par l'abaissement des barrières douanières et aux perspectives d'adhésion à l'OMC en 2005.

Au 9e Congrès du Parti communiste vietnamien, tenu en avril 2001, se sont négociés un changement de direction et une réflexion plus aiguë sur " l'économie de marché à orientation socialiste ". Nong Duc Manh, ancien président du Parlement, a succédé à Le Ka Phieu au poste de secrétaire général. Le plan décennal adopté vise à préserver trois équilibres : entre la maîtrise publique du développement et l'essor de l'initiative privée, entre les exigences nationales et l'apport de la mondialisation, entre le souci de développement social et la nécessité d'une croissance rapide. La poursuite graduelle des réformes économiques a été confirmée. Mais l'accent est mis sur un plus fort financement par les ressources nationales, même si des mesures appropriées sont prises pour attirer les capitaux étrangers. Le souci étant de ne pas se mettre en état de dépendance. Mais la volonté de recourir plus à ses propres ressources réclame un effort considérable : les dépenses d'investissements sont de plus en plus élevées. " En 1990, il fallait investir 3,5 % du PIB pour assurer un point de croissance, il en faut maintenant 5 % ", insiste Phan Dien, membre du Bureau politique et membre exécutif du secrétariat du PCV.

Sortir le pays du sous-développement d'ici 2010

Les entreprises publiques restent la " force principale dans l'économie ", tout en ayant pour but de les faire passer à une gestion conforme aux mécanismes de marché. De 13 000 leur nombre est tombé à 5 900 en quelques années. Leur actionnarisation vise encore à les réduire de moitié en conservant celles qui ont un caractère stratégique ou assurent une mission de service public. Le poids du secteur public se réduit progressivement (41 % du PIB contre 50 % en 1995). Le développement économique se joue à plusieurs composantes. Le secteur privé pour être encore assez faible n'en a pas moins le vent en poupe en enregistrant une production en hausse de 20 % l'an passé. À Hô Chi Minh-ville, 300 000 entreprises privées représentent le cinquième du PIB de la cité, et elles sont à l'origine de 70 % des créations d'emplois.

Sortir le pays de la pauvreté et du sous-développement d'ici à 2010, en doublant une nouvelle fois le revenu moyen par habitant, et assurer l'industrialisation d'ici à 2020, voilà des défis majeurs. Pour être relevés, rappellent les dirigeants vietnamiens, ils doivent être accompagnés par une " amélioration de la qualité et de l'efficacité de l'économie pour établir une croissance durable, par le développement de l'environnement social pour que toute la population profite des acquis de la réforme, et par l'édification d'une administration saine et de bonne gouvernance ". Dans cette optique, le rôle de l'Assemblée nationale s'est affirmé. Nong Duc Manh l'avait dirigée pendant neuf ans. Au fil de ses législatures, le Parlement est devenu un lieu de débat de plus en plus animé, les ministres y passant parfois de sales moments sous le regard du pays, puisque les sessions sont retransmises en direct à la télévision, comme nous le fait remarquer Vu Mao, président de la commission des Affaires étrangères et membre du comité permanent de l'Assemblée nationale. Élus au suffrage direct, les députés s'affirment comme un lien entre leur base locale et le pouvoir législatif. 20 % d'entre eux ne sont pas membres du Parti communiste, " une proportion qui devrait s'élargir à 40 % dans les prochaines années pour prendre en compte toutes les composantes de la société ", poursuit Vu Mao.

Une lutte sans complaisance contre la corruption

Le maintien d'une croissance forte demeure une bonne garantie de stabilité du pouvoir mais les risques potentiels de tension ne sont pas exclus, et les dirigeants en sont plus que conscients. Dans la voie de l'ouverture, le maintien de l'identité communiste et de l'appui populaire passe par une lutte sans complaisance contre la corruption et la bureaucratie. À plusieurs reprises, la contestation a émergé à plusieurs niveaux. Tant sur les hauts plateaux, au sein des minorités ethniques, en 2001, que dans les campagnes. La protestation massive qui avait gagné plus d'une centaine de communes dans la province de Thai Binh en 1997 avait fait l'effet d'un électrochoc. La corruption de cadres locaux était directement mise en cause par plusieurs milliers de paysans exaspérés par des détournements de fonds. Plus de mille responsables administratifs de la province de Thai Binh ont été suspendus de leur fonction pour corruption. À Hô Chi Minh-Ville, un procès retentissant a réuni dans le box des accusés le parrain le plus puissant du Vietnam moderne, Nam Cam, et 154 coaccusés, dont deux responsables du Parti qui ont été condamnés à des peines de prison ferme. Leur procès en appel se tient actuellement et doit durer jusqu'au 15 novembre.

Le Parti communiste vietnamien et le gouvernement ont fait plusieurs tentatives pour lutter contre la corruption. Le gouvernement a lancé une campagne en ce sens en février, et le Parti une campagne d'autocritique interne qui devrait durer deux ans. La bonne conduite des cadres s'étend à la sphère privée. Depuis le 1er juillet, un décret-loi signé par le président, Tran Duc Luong, stipule que le nom des fonctionnaires et des militaires pris en flagrant délit avec des prostituées devra être livré à leur chef de service. Cette décision est loin d'être anecdotique. Et lundi dernier, à l'ouverture de la session de l'Assemblée nationale, le vice-premier ministre, Nguyen Tan Dung, rappelait encore devant les députés : " Le nettoyage de l'appareil d'État doit se concentrer sur le combat contre la corruption, le harcèlement du peuple, la tromperie, l'indiscipline et le comportement irresponsable au travail. "

Par Dominique Bari - L'Humanité - 25 octobre 2003