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Chirac défend « la diversité culturelle »

Face à la tentation anglo-saxonne, le président français souhaite que le Vietnam se rapproche de la France sur la spécificité des biens culturels.

« Bienvenue à son Excellence M. Jacques Chirac et à son épouse Bernadette ». Devant l'espace culturel français de Hanoï, des enfants en chemise blanche et foulard rouge - l'uniforme des élèves vietnamiens - brandissent des petits drapeaux aux couleurs bleu-blanc-rouge et étoile jaune sur fond rouge. Le chef de l'Etat a souhaité un dialogue avec des jeunes Vietnamiens parlant la langue de Molière. Questions et réponses étaient convenues mais elles lui ont donné l'occasion de plaider une nouvelle fois pour « la diversité culturelle ».

Face à la menace d'une « culture anglo-saxonne majoritaire qui a la tentation d'effacer les autres », Jacques Chirac a défendu la multiplicité des langues et des « visions du monde » dont elles sont porteuses. Pour mettre en garde contre une uniformisation qui serait « une catastrophe écologique ». D'où l'attachement de la France et de l'Union européenne à « l'exception culturelle » qui permet d'accorder des aides financières pour la production de films, de livres, d'émissions télévisées ou d'imposer des quotas de diffusion sans se voir reprocher de fausser la concurrence.

Si l'argumentation du chef de l'Etat visait à conforter une jeunesse attirée par la France, quitte à laisser percer un certain anti-américanisme, elle s'adressait également aux autorités de Hanoï. Candidat à une adhésion à l'Organisation mondiale du commerce, le Vietnam reçoit le soutien de Paris mais semble peu pressé de souscrire au principe de « l'exception culturelle ». C'est que, malgré une guerre peu éloignée, les Etats-Unis y ont un poids économique important.

Le poids de l'anglais

Cette influence se traduit en importations et exportations mais aussi dans la prédominance de l'anglais dans les échanges avec les étrangers. Si la France reçoit beaucoup d'étudiants vietnamiens, ils sont encore plus nombreux à parfaire leur formation en Amérique ou en Australie. D'où les engagements de Jacques Chirac à développer une politique de bourses à leur intention et les accords conclus pour installer deux pôles universitaires français au Vietnam. D'où ses efforts pour convaincre ses interlocuteurs qu'ils avaient tout intérêt à garantir leur avenir culturel.

A ce « dialogue des civilisations », le chef de l'Etat participe activement. Poètes, calligraphes, peintres, sculpteurs, architectes... tous les artistes des nations qu'il visite sont convoqués dans ses discours. Et il sollicite toujours des étapes culturelles de la part de ses hôtes. Avant de rendre hommage au poète chinois Du Fu, demain à Chengdu, il s'est fait expliquer, hier, à Hanoï, les découvertes du chantier archéologique de Ba Dinh : treize siècles d'histoire compressés dans un couche de terrain de moins de cinq mètres. L'Ecole française d'Extrême-Orient apportera son aide aux fouilles et aux études historiques.

La lutte contre le Sida

La coopération entre les deux pays se veut autant culturelle et sociale qu'économique. Ainsi Bernadette Chirac s'est-elle rendue, hier, à l'hôpital Dong Da de la capitale pour souligner l'aide française à la lutte contre le Sida au Vietnam et l'étendre par une nouvelle convention avec l'hôpital de Haiphong. « Chacun de ces projets, chacune de ces alliances défend ici l'image de la France et l'avenir du Vietnam », a assuré Jacques Chirac lors d'une rencontre avec la communauté française. Avant que de jeunes élèves du conservatoire national de Hanoï entonnent une très belle Marseillaise.

Par Chantal Didier - L'Est Républicain - 8 Octobre 2004.


Chirac donne une leçon d'antiaméricanisme à Hanoi

Il s'est emballé sur les risques d'une «sous-culture généralisée».

HANOI - Les lycéens et étudiants vietnamiens venus dialoguer avec lui au centre culturel français en sont restés bouche bée. Hier à Hanoi, au deuxième jour de sa visite d'Etat, Jacques Chirac s'est livré à une diatribe contre les Etats-Unis qu'il a carrément accusés de vouloir imposer «une sous-culture généralisée dans le monde». Une leçon d'antiaméricanisme à faire rosir de gêne les très orthodoxes dirigeants de la République socialiste du Vietnam...

En roue libre. Accueilli dans la rue par des dizaines d'enfants agitant des petits fanions aux couleurs de la France et du Vietnam, Chirac s'installe sur l'estrade du centre culturel et commence par louer «la formidable jeunesse du Vietnam» avec laquelle, comme il se doit, il entend «avoir un petit échange de vue marqué au coin de l'amitié, de l'estime et du respect». A peine le temps d'évoquer un souvenir de 1993 à Hô Chi Minh-Ville, où un poète lui avait déclamé «qui ne se souvient pas de son pays ne pourra jamais devenir un homme», et le chef de l'Etat part en roue libre sur ses thèmes de prédilection : dialogue entre les civilisations, respect de la diversité culturelle, défense des minorités. Une jeune fille en longue robe rose traditionnelle le ramène sur terre en lui demandant si «apprendre le français pour un Vietnamien est un bon investissement pour trouver du travail demain». «Le français est une langue utile sur le plan économique, tente-t-il de la convaincre. Rien ne serait pire pour l'humanité qu'il n'y ait qu'une seule langue. Ce serait rétrécir la pensée.» Et de lancer une mise en garde : «Il y a une tendance à une culture majoritaire anglo-saxonne qui efface les autres. Si on acceptait les thèses de nos amis américains, il y aurait très rapidement une expression culturelle unique. Et toutes les autres expressions culturelles seraient étouffées au profit de la seule culture américaine.»

Dadas. Très applaudi par la salle, Chirac plonge alors dans ses fiches plastifiées pour répondre à une question. Il extrait de ses antisèches les noms de «deux très beaux films vietnamiens», le Gardien du buffle et le Temps révolu, qui, selon lui, n'auraient pas pu voir le jour sans aides financières publiques. «D'ailleurs, ajoute-t-il, nous menons une sorte de combat contre les thèses américaines [relatives à la culture] car si on les suivait, on finirait par avoir une sous-culture généralisée dans le monde, ce qui serait la pire des choses.» A cet instant, Jacques Chirac frôle le surrégime et lâche ses fiches. Ce qui n'est pas forcément une bonne idée : «S'il y avait une seule langue, une seule culture, tout le reste disparaîtrait et ce serait une véritable catastrophe écologique», lance-t-il à un auditoire interloqué.

Très au fait des dadas du Président, un autre étudiant vietnamien l'interroge aussitôt sur sa théorie des «quatre piliers du développement durable». Cette fois, le chef de l'Etat dégaine son discours de défenseur des damnés de la terre : «Attirés par le gain et le progrès immédiat, les hommes ne sont pas raisonnables. On est en train de piller et d'épuiser notre planète.» Très en verve, il enchaîne sur sa proposition, faite avec le président brésilien Lula, de créer une taxation sur les recettes de la mondialisation afin de dégager «50 à 100 milliards de dollars supplémentaires» en faveur de l'aide publique au développement. A l'en croire, il aurait déjà rallié à sa cause «près de 120 pays». Et le Président de prophétiser : «Les Etats-Unis ne pourront pas résister à ce grand mouvement international.» George W. Bush et ses amis n'ont plus qu'à bien se tenir.

Par Antoine Guiral - Libération - 8 Octobre 2004.