Une étude fait la lumière sur l'utilisation des défoliants
pendant la guerre du Vietnam
Plus de trente ans après la fin de la guerre, les herbicides de l'armée américaine
continuent d'empoisonner le Vietnam. Utilisés entre 1961 et 1971, certaines questions
restaient en suspens quant à leur utilisation. La plupart de ces interrogations sont
aujourd'hui levées, alors que les conclusions d'une étude scientifique commandée en 1991
par l'Institut de médecine américain (IOM) viennent d'être rendues publiques.
Le résultat de ces travaux, publiés, jeudi 17 avril, dans la revue Nature, apporte,
notamment, des précisions sur la quantité et la nature des défoliants utilisés - agent
orange, agent pourpre, agent rose, etc. -, sur leur exacte composition chimique ainsi que
sur les régions du Vietnam qui ont été les plus exposées à ces substances à forte
concentration en dioxines.
83 millions de litres
Pour détruire le camouflage naturel de la forêt vietnamienne, les forces armées américaines ont
déversé plusieurs millions de litres d'herbicides, principalement dans le sud du pays. Une précédente
enquête, menée en 1974 par l'Académie des sciences américaine, avait conclu à l'épandage de
76 millions de litres de défoliants, dont 46 millions de litres d'agent orange - surnommé ainsi en
raison des bandes orange qui barraient les conteneurs de cet herbicide. Les données recueillies
alors, expliquent les auteurs de la publication, contenaient des erreurs et des omissions. Une analyse
plus fine des informations disponibles et la découverte de nouvelles données - obtenues grâce aux
archives nationales américaines - ont ainsi montré que 7 millions de litres de défoliants n'avaient pas
été comptabilisés. Ce sont donc, au total, près de 83 millions de litres de ces substances qui ont été
déversées sur le Vietnam.
Parmi ces défoliants non comptabilisés, 1,9 million de litres d'agent pourpre, épandus avant 1965,
revêtent une importance particulière. Ces herbicides, expliquent les auteurs de l'étude, "ont été
fabriqués au début des années 1960 et ont été très certainement plus lourdement chargés" en
TCDD (tétrachlorodibenzodioxine), qui compte parmi les familles les plus nocives de dioxines.
En outre, l'étude dresse une carte précise des zones géographiques les plus touchées. En recoupant
ces données avec des estimations de la répartition de la population vietnamienne entre 1960 et
1970, les auteurs concluent qu'environ 4,8 millions de personnes ont été directement affectées par
les épandages. L'enquête de Jeanne et Steven Stellman, Richard Christian, Tracy Weber et Carrie
Tomasallo présente, selon ses auteurs, "un intérêt particulier pour poursuivre des études
écologiques et épidémiologiques".
De telles enquêtes resteront, malgré ces nouveaux apports, très complexes à mener en raison des
trente années écoulées depuis les faits. Les dioxines issues des défoliants américains, très
persistantes, se sont dispersées dans la chaîne alimentaire et dans l'environnement. Et elles sont,
aujourd'hui, mêlées à celles issues des rejets industriels. L'Agence internationale de recherche sur le
cancer (IARC), basée à Lyon, a lancé l'une des rares études épidémiologiques d'ampleur sur les
conséquences à long terme des largages de défoliants sur le Vietnam.
"Nous avons achevé le travail sur le terrain il y a environ trois ans, explique Max Parkin,
responsable de l'unité d'épidémiologie descriptive de l'IARC. Mais nous ne pouvons pas, faute de
fonds, analyser la totalité des données dont nous disposons." "Nous nous sommes concentrés
sur les lymphomes et les sarcomes, deux des cancers les plus suspectés d'être liés à une
exposition aux défoliants, poursuit M. Parkin. Mais il n'est pas possible, en l'état des analyses,
de conclure précisément. Il est cependant probable que l'exposition aux dioxines ait provoqué
une augmentation de tous les cancers confondus."
La Croix-Rouge vietnamienne estime, elle, à un million le nombre de personnes qui souffrent encore,
aujourd'hui, des effets de ces dioxines. Au cours d'une conférence bilatérale, tenue à Hanoï en
mars 2002, les Etats-Unis ont cependant réitéré leur refus de dédommager le Vietnam pour les
préjudices sanitaires et environnementaux subis. Hanoï avait renoncé, lors de la normalisation de ses
relations avec Washington, en 1995, à toute forme d'indemnisation.
Par Stéphane Foucart - Le Monde - 19 Avril 2003.
Agent Orange : cartographie d’une pollution persistante
Les quantités de dioxines reçues par le Vietnam
pendant la guerre doivent être revues à la hausse.
Une nouvelle évaluation des doses d’Agent Orange
et autres herbicides déversés par l’armée
américaine rajoutent plus de 7 millions de litres aux
précédentes estimations. Entre 1961 et 1971, les
Etats-Unis, alliés au gouvernement du sud du Vietnam,
ont utilisé ces produits pour défolier les chemins et les
possibles caches des combattants communistes, pour
nettoyer les périmètres militaires, enfin pour détruire des
récoltes, histoire de couper les vivres à l’ennemi.
En 1974, une première évaluation basée sur les registres
de l’armée américaine (HERBS) avait été menée.
L’équipe de Jeanne Mager Stellman, de l’Université
Columbia (New York), a fait une belle découverte en se
replongeant dans ces archives militaires. Les chercheurs
ont exhumé les carnets de bord dans lesquels les pilotes
consignaient chaque jour la nature de leur mission. Ces
carnets contiennent ce que les HERBS n’ont pas : la
cible de chaque vol d’arrosage. Stellman et ses
collègues ont ainsi pu dresser des cartes très précises
des lieux où ont été déversés les herbicides. Ces
résultats sont publiés aujourd’hui dans la revue Nature.
En croisant ces données avec le recensement de 20.000
villages vietnamiens, les chercheurs en ont déduit qu’au
moins 3.000 villages ont été directement aspergés,
affectant entre 2 et 4 millions de personnes. Des soldats
américains n’ont pas été épargnés par ces épandages.
Certains vétérans se battent encore pour obtenir des
compensations.
Les dioxines sont des polluants persistants. Se sont à la
fois des cancérigènes et des perturbateurs endocriniens.
Depuis 1975, date de la fin de la guerre, aucune étude
épidémiologique de grande ampleur n’a été menée sur
les effets de ces Agents, constate Jeanne Mager
Stellman. Ses cartes devraient faciliter de telles
investigations.
Par Cécile Dumas - Sciences & Avenir - 17 Avril 2003.
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