Hanoi à décoder
Marc Detiffe a saisi la ville et ses habitants au quotidien, dans les rues. Des photos du «renouveau» rehaussées par les textes de Nguyên Van Hùng.
Il y a cet embrouillamini de câbles électriques et d'échoppes, ce flux de mobylettes et de vélos (rares sont les autos ici) qui traversent la ville. Autant d'éléments qui servent aussi de fils conducteurs entre les photographies. Et il y a les gens qui, ignorant ce tumulte, boivent un thé ou proposent une soupe, assis sur leurs petits tabourets en plastique, investissant le trottoir comme une pièce de vie à part entière. Emballement et sérénité, mouvement et immobilité: les photographies de Marc Detiffe rendent compte de l'atmosphère de Hanoi, capitale et ville historique où le temps semble figé. Ensuite, le spectateur démonte l'écheveau: son regard se promène - comme on se perd avec joie dans les ruelles d'une ville inconnue - dans les innombrables détails de ces images complexes, très «parlantes». Les haut-parleurs omniprésents (diffuseurs de messages gouvernementaux) par exemple, un arbre luxuriant qui a gardé une place dans le béton, les murs décrépis des bâtisses coloniales, ces vêtements bien propres et ces pas de portes bien nettoyés, des détails qui montrent que le «chaos» des rues tel que le regard européen croit le percevoir de prime abord, n'est qu'apparent.
Marc Detiffe saisit la beauté et la complexité du quotidien urbain sans tomber dans les clichés du pseudo «typique», il laisse un rôle «actif» au visiteur de l'exposition qui se tient au Civa, à Bruxelles, jusqu'au 10 janvier, et au lecteur de l'ouvrage édité parallèlement par la Fondation Van Hùng (1).
Le photographe belge, qui a réalisé de nombreux reportages sur l'architecture et le patrimoine notamment, a effectué cinq voyages à Hanoi de 1998 à 2000, en compagnie de Sophie Patigny, documentariste parlant le vietnamien. Il a cherché à montrer une ville dans le «renouveau» (Dôi Mi), le lent processus de transformation de ce pays meurtri par les guerres.
La ville en images et en mots
Pour réaliser ces photos, il a utilisé une chambre technique: un appareillage encombrant, pas discret, qui explique que la plupart des Hanoïens photographiés fixent l'objectif, d'un regard curieux ou fier.
Intrigués par sa présence, «les habitants entamaient prudemment la conversation, remontant dans leurs souvenirs, nous offrant de découvrir la ville au travers de leurs vécus», explique le photographe. Des témoignages prudents, dans un pays où l'on ne peut encore parler librement de tout.
«De cette parole surveillée, censurée, parfois osée, est né le désir de laisser libre cours à l'expression d'un auteur contemporain», dit Marc Detiffe. Aussi l'expo et le livre sont-ils ponctués de textes de Nguyên Van Hùng, un artiste vietnamien vivant à Bruxelles. De courts poèmes incisifs qui disent le quotidien de la ville: la soupe, les chiens errants, le café Lam ou encore le tabouret: «S'attabler au ras des trottoirs, le cul exactement/ à trente centimètres du sol, sur un humble tabouret/en bois lourd et lisse de caresses mille fois répétées. Se mettre au diapason du rythme du quartier (...)».
L'expo «Hanoi Dôi Mi» aurait dû être présentée au Centre culturel français de Hanoi, mais celui-ci n'y a pas été autorisé: le ministère de la Culture et de l'Information de la République socialiste du Vietnam a censuré les photos et les textes...
«Hanoï Dôi Mi - le renouveau», photographies de Marc Detiffe, textes dazibao de Nguyên Van Hùng. Expo au Centre international pour la ville, l'architecture et le paysage, 55 rue de l'Ermitage, 1050 Bruxelles, jusqu'au 10 janvier, du mardi au dimanche de 10h30 à 18h30. Livre édité par la Fondation Van Hung (qui promeut l'échange entre créateurs de diverses disciplines et origines), préface J.-M. Bodson, 140 pp., env.35€.
Par Sophie Lebrun - La Libre Belgique - 31Décembre 2004.
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