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Giap : «Une partie des Français était avec nous»

Commandant en chef de l'armée populaire du Vietnam pendant 30 ans, le général a conduit à ce titre la guerre contre la France puis celle contre les États-Unis

HANOI - Agé de 91 ans (il est né le 25 août 1912), le général Vo Nguyen Giap a été commandant en chef de l'armée populaire du Vietnam pendant 30 ans et a conduit à ce titre la guerre contre les Français puis contre les Américains, de 1945 à 1975. Fin 1953, le président Hô Chi Minh, dont il est aujourd'hui l'un des derniers compagnons de lutte vivants, lui confie les pleins pouvoirs opérationnels pour l'offensive à venir avec ce mot d'ordre : «N'attaque que quand tu seras sûr de remporter la victoire.» Véritable icône nationale poussée sur le devant de la scène le temps des commémorations, le vieux stratège est depuis longtemps tenu à l'écart des affaires politiques. Il reçoit dans sa résidence au centre de la capitale où les délégations se succèdent pour le couvrir de fleurs et d'hommages. A ses côtés, son fils, né en juin 1954, un mois après la fin de la grande bataille, ce qui lui vaut de porter un nom chargé d'histoire : Diên Biên.

LE FIGARO. – Cinquante ans après la bataille de Diên Biên Phu, auriez-vous souhaité personnellement que Français et Vietnamiens puissent commémorer ensemble cet événement et encouragez-vous le développement d'un «partage de la mémoire» sur cette importante page d'histoire commune ?

Général GIAP. – Nous sommes au cinquantième anniversaire de la victoire qui marque la fin de la colonisation française. Dans cette guerre d'indépendance contre le colonialisme français, il faut rappeler qu'une partie importante du peuple français était avec nous et soutenait notre lutte. Nous n'oublions pas le passé. Mais regardons vers l'avenir. En 1993, le président François Mitterrand est allé à Diên Biên Phu. Auparavant, il m'a demandé mon avis. Je lui ai dit que cela serait bien d'y aller. Il a voulu faire ce geste de réconciliation. Les temps ont changé. Les relations entre nos deux peuples et nos deux gouvernements deviennent de jour en jour meilleures à tous les points de vue, sur la base de la souveraineté de chaque pays. Je souhaite que ces relations se développent toujours davantage, sur le plan politique, économique, scientifique et social.

LE FIGARO. Contrairement à ce qui est souvent dit, vous soulignez que la décision du général Navarre d'installer le camp retranché à Diên Biên Phu n'était pas une erreur, du moins au début...

Général GIAP. Non, je n'ai jamais dit cela. Ce que j'ai dit, c'est qu'initialement, le terme de Diên Biên Phu ne figurait pas dans notre plan de campagne pour l'automne et l'hiver 1953-1954. Il ne se trouvait pas non plus dans le plan stratégique du général Navarre. L'histoire a voulu que Diên Biên Phu, qui n'apparaissait à l'origine dans les plans, devienne le lieu où s'est déroulée la bataille la plus décisive de la guerre d'Indochine. Selon moi, Diên Biên Phu est le rendez-vous que l'histoire réserve à toutes les guerres injustes, non seulement françaises mais aussi celles livrées par d'autres puissances...

LE FIGARO. On compare fréquemment le «bourbier» que les Américains connurent au Vietnam à la situation à actuellement en Irak. Qu'en pensez-vous ?

Général GIAP. Comme je l'ai déjà dit, toute force qui souhaite imposer sa volonté à une autre nation connaîtra forcément l'échec et tout pays qui lutte pour l'indépendance gagnera. Les hommes et les peuples de cette planète, s'ils ont la volonté de lutter et de s'unir pour leurs droits au bonheur et leur souveraineté, obtiendront la victoire, malgré les forces qui veulent les subjuguer. Je suis un homme qui voit les choses de manière objective et avec optimisme. Difficile de faire des pronostics par les temps qui courent. Mais je crois pouvoir affirmer que ce millénaire sera celui de la paix, de l'amitié entre les peuples et du droit de chaque homme à vivre sa vie et à faire son propre bonheur. Pour notre part, c'est ce que nous avons fait : lutter pour que chaque homme ait le droit de vivre et de s'accomplir et que chaque peuple jouisse de son indépendance et de sa souveraineté nationale. Comme l'a dit un poète français, Diên Biên Phu marque la fin de l'ère où l'on méprise l'homme.

Par Alain Barluet - Le Figaro - 7 Mai 2004.