Dien Bien Phu vu par Bigeard: "une connerie d'avoir mis ça dans une cuvette"
PARIS - Cinquante ans après la bataille de Dien Bien PhuDien Bien Phu en Indochine, le général Bigeard, qui en fut l'un des héros côté français, se souvient que ce fut "une vraie connerie d'avoir mis ça dans une cuvette".
"A Dien Bien Phu, le commandement avait dit que si les Viets attaquaient nous allions les casser. En fait, ce sont eux qui nous ont cassés. C'est une connerie d'avoir mis ça dans une cuvette", raconte le général dans un entretien avec l'AFP.
Les combats, entamés le 13 mars 1954 et opposant près de 15.000 militaires français à 50.000 résistants vietminh dirigés par le général Vo Nguyen Giap, s'étaient achevés le 7 mai par la reddition du colonel Christian de la Croix de Castries, chef de la garnison française de Dien Bien Phu.
La bataille a fait 3.000 morts ou disparus côté français et entre 8.000 et 10.000 côté vietnamien. Une cérémonie aux Invalides, présidée par le président de la République Jacques Chirac, commémorera vendredi le 50ème anniversaire de la bataille de Dien Bien Phu.
Pour l'historien Philippe Masson, auteur d'une "histoire de l'armée française", le comportement de la hiérarchie militaire a été radicalement différent de celui de la troupe. Il rappelle que "1.500 volontaires n'ayant aucune expérience du parachutisme acceptèrent de sauter sur Dien Bien Phu pour renforcer la garnison", alors que "dès le début de la bataille, de Castries, terré au fond de son abri est inexistant".
Bigeard, "homme d'exception" pour Philippe Masson, responsable des contre-attaques, a incarné durant cette bataille le sang froid et la maîtrise des hommes.
Il saute sur Dien Bien Phu une première fois le 20 novembre 1953, avec son bataillon de 700 hommes, puis est envoyé pour d'autres missions ailleurs. Dès que les points d'appui "Béatrice et "Gabrielle" commencent à tomber, il est renvoyé sur la cuvette.
Lieutenant-colonel à l'époque, "j'étais le chef opérationnel, ça vous gonfle. C'est le destin qui l'a voulu, mais il ne fallait surtout pas que ça se sache à Paris", se souvient aujourd'hui le général âgé de 88 ans et toujours en verve. "Cinquante ans après, j'y suis encore. C'était un tel drame et une telle catastrophe qu'on ne peut pas oublier", ajoute-t-il.
Il a pourtant un "meilleur souvenir": "Cela parait idiot mais c'est la captivité. Je venais d'être nommé lieutenant-colonel, la veille de la chute". "Dans le camp de prisonniers, j'ai été nommé chef. On faisait cuire le riz et on le distribuait. Il fallait essayer de faire garder le moral aux hommes. C'était l'été 54. On n'a fait que quatre mois là dedans car j'avais dit que pour l'honneur, il fallait se barrer". Après trois jours dans la nature, "endormis au bord d'une piste", Bigeard et son équipe sont "pris et ramenés au camp des Viets", qui lui reconfient pourtant la responsabilité du camp.
"Il y avait une estime", reconnait-il, tout en évoquant l'horreur des camps de prisonniers. "Après la chute de Dien Bien Phu, il y avait 10.000 prisonniers, et on est revenus à 3.900. Des milliers de morts en quatre mois, Nous, nous n'étions pas maltraités, pas torturés non, mais nourris seulement d'une boule de riz le midi et le soir".
Né en 1916 à Toul, "pendant la bataille de Verdun", Bigeard a fait "dix ans d'Indochine et six ans d'Algérie" avant de quitter l'armée général de corps d'armée et d'être nommé secrétaire d'Etat à la Défense par Valéry Giscard d'Estaing, fonction qu'il occupera dix-huit mois.
Depuis, ce général des plus décorés de l'armée française écrit des livres, et son 14ème est en route. Ce sera "France, ne nous quitte pas" et cela parlera "des valeurs qui foutent le camp".
Agence France Presse - 6 Mai 2004.
Dien Bien Phu, une nostalgie française
FREJUS - A Fréjus, au Monument aux morts des guerres d'Indochine, les 58.000 combattants tombés dans le dernier bastion de l'Empire ne reçoivent plus guère de visiteurs. A peine une soixantaine par jour, la plupart des anciens combattants, qui se font de plus en plus rares.
Le 7 mai, cinquante ans après Dien Bien Phu, la petite foule attendue à Fréjus pour commémorer la défaite vient surtout marquer ce qui fut un tournant majeur dans l'histoire de la décolonisation: le début de la fin pour l'Empire français.
Pour la plupart des Français, la leçon du siège de la cuvette de Dien Bien Phu, dans cette jungle où l'armée aux pieds nus humilia celle d'une grande puissance militaire, est simple: une puissance moderne ne peut imposer sa volonté à une population lointaine déterminée à gérer ses propres affaires.
«Tous ceux qui viennent ici ont la même réaction, le fait que leurs frères sont morts pour rien», estime Patrice Lorenzi, qui gère le Mémorial de Fréjus. «Cet endroit prouve clairement que vous ne pouvez forcer un peuple à faire ce qu'il ne veut pas, à moins bien sûr que vous ne soyez prêts à réduire le pays en cendres et tout recommencer à zéro», note-t-il.
Une réflexion sur un combat ancien qui résonne avec modernité, à l'heure de la guerre américaine en Irak.
Si, à l'époque, les huit années de combat contre le Viet Minh en Indochine ne suffirent pas à faire passer le message à la France, ce fut l'Algérie qui s'en chargea, ce conflit-là débutant quelques mois à peine après la trêve vietnamienne signée à Genève en 1954.
«Même si vous avez dix fois la force militaire, vous ne pouvez pas gagner», estime Jean-Guy Marenco, constructeur à Draguignan. «Le temps est avec eux».
Dans son bureau poussiéreux décoré d'une carte de l'Indochine, sous une affiche où l'on peut lire: «Trois couleurs, un drapeau, un Empire», l'ancien général Jacques Bourry, 85 ans, qui préside l'Association des combattants de l'Union française (ACUF), cultive une certaine nostalgie de «l'Indo».
Pour lui, la guerre française fut un noble effort visant à protéger la majorité de la population de l'Annam, du Tonkin et de la Cochinchine (Vietnam) qui ne voulaient pas d'Ho Chi Minh et des communistes du Viet Minh. Mais la France a perdu: «Nous ne pouvions pas rester plus longtemps. Il y avait trop de morts, nous n'avions pas les moyens, ni la volonté politique».
Et d'ajouter, avec un sourire amer: «Les Américains nous ont remplacés, bien sûr, et même leurs énormes moyens ne les ont pas empêchés de perdre». Glissant jusqu'à aujourd'hui et l'Irak, il est pessimiste: les Américains «devront partir. La guerre sur cette échelle n'est plus possible à notre époque».
Puissance coloniale affaiblie par la Seconde guerre mondiale, la France perdra peu à peu ses colonies, jusqu'à la vague des indépendances en Afrique, dans les années 60, n'en gardant que des confettis. Mais c'est en 1954, après avoir lutté contre le Viet Minh depuis 1946, après Dien Bien Phu, qu'elle comprit que le mouvement allait être inexorable.
Les 58.000 morts du Monument aux morts des guerres d'Indochine de Fréjus -soit le même chiffre que les victimes américaines au Vietnam- tombèrent au front en 1940-45, puis pendant les combats contre le Viet Minh.
Et, dans les allées silencieuses de l'immense nécropole tournée vers la mer, résonne comme un souvenir des colonies d'autrefois. Car, fait marquant souvent laissé de côté, près des trois-quarts des 10.000 hommes coincés dans les tranchées de Dien Bien Phu étaient des combattants coloniaux: Algériens, Marocains, Africains, Vietnamiens... Et leurs noms, une litanie, travée après travée: Diallo Alpha Mamadou, Tahar ben Abdesselem, Pham Me... Dien Bien Phu, ou la dernière bataille d'Empire.
«C'est la principale raison pour laquelle si peu de gens viennent ici se souvenir», estime M. Lorenzi. Aujourd'hui, «leurs familles sont loin, vivant des vies très différentes dans des pays qui n'ont rien à voir avec le notre. C'est un monde différent aujourd'hui».
Par Mort Rosenblum - The Associated Press - 5 Mai 2004.
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